Le jour où j’ai eu mes règles, par Margaux Novelli

Ce sont quelques minutes passées devant un écran. Quelques minutes qui résument pourtant l’enfer que vit une jeune fille souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA). On entre dans son monde grâce au talent de la scénariste et réalisatrice Margaux Novelli, qui parle d’elle tout en parlant de nous et en s’adressant à tous.

© Guillaume Le Guen

Margaux a 23 ans. Elle fait des études de production dans l’audiovisuel. C’est le genre de personnes, vous savez, qui rayonne. Elle a du soleil dans la voix. De la vie dans ses beaux yeux bleus.

Et pourtant. Et pourtant son corps, si vivant aujourd’hui, a été éteint pendant de longs mois. Il a été rongé de l’intérieur, dominé par une voix, une voix de femme me dit-elle, qui prenait toute la place. Elle prenait le pas sur ses idées, elle agissait pour elle. Margaux n’existait plus. C’est une partie de sa vie qui a disparu, des souvenirs qui se sont effacés.

Margaux n’existait plus. C’est une partie de sa vie qui a disparu, des souvenirs qui se sont effacés.

Cette voix, cette personne, cette expérience, elle a voulu la coucher sur le papier. Et finalement, elle a décidé d’en faire un court-métrage et de donner vie à cette voix pour mieux l’emprisonner derrière un écran.

Aux termes de dizaines d’heures d’écriture entre le 10 août 2020 et le 23 mai 2021 et après une vingtaine de versions du scénario, Le jour où j’ai eu mes règles voit le jour.

Ça raconte quoi ?

Écrit et réalisé par Margaux Novelli, produit par Joséphine Onado et Théodore Sellam (TCHAÏKA Films), ce court-métrage raconte l’histoire de Charlotte, 25 ans et d’Ana, sa colocataire. Colocataire d’appartement, de corps et d’âme. Dans ces deux personnages la scénariste et réalisatrice a montré la dualité que son propre corps avait lui-même expérimenté. Elle a sorti la voix de sa tête, lui a fait dire ce que beaucoup d’entre nous ont entendu. Et elle a fait parler Charlotte aussi, qui se débat mais ne parvient pas à vivre sans sa colocataire.

Pourquoi ce film ?

La visée du film était en quelque sorte cathartique. Si en regardant ce film on a le cœur serré, c’est parce qu’on se reconnaît dans cette fille qui se regarde dans le miroir en essayant désespérément d’aplatir son ventre et d’affiner sa taille, ou dans ce frigo constitué uniquement de yaourts 0% ou encore dans cet agenda qui n’est plus occupé que par le décompte des calories. On se reconnait, et notre cœur, à force de se serrer se brise.

On se reconnait, et notre cœur, à force de se serrer se brise.

Si elle a fait ce film, c’était pour couper les ponts avec cette voix, cette présence devenue étouffante et sa maladie.

Si elle a fait ce film, c’est aussi pour ses amis et sa famille. C’était pour qu’ils comprennent ce qu’elle avait vécue et ce que d’autres personnes vivent à cet instant même. C’est pour apprendre à reconnaitre ces troubles et pour mettre fin à une minimisation qui empêche de guérir.

Si elle a fait ce film, enfin, c’est peut-être, pour espérer qu’un jour, quelqu’un tombe dessus par hasard et s’en sorte grâce à lui. Et visualise ce qu’il ou elle s’inflige et cesse de se priver de vivre.

© Guillaume Le Guen

Comment a-t-elle fait ?

Elle a tout d’abord essayé de retracer ses principaux comportements et activités du temps où elle était malade. Elle a croisé, son témoignage, celui de ses parents et amis, qui ont comblé ses trous de mémoire et d’autres venant de personnes ayant souffert de TCA.

Dans sa réalisation, elle a choisi de filmer en plans serrés afin de diriger notre regard vers le corps des actrices et rien d‘autre. Le court-métrage est tourné majoritairement dans l’appartement de Charlotte, tout autre espace étant sujet à une incapacité de contrôler son alimentation. L’appartement représente une sécurité alors même qu’il l’emprisonne physiquement et mentalement. Ce que Margaux a voulu faire par-dessus tout, et ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’elle voulait donner envie au spectateur de sortir de la salle à la fin du film.

En centrant la caméra sur Charlotte et Ana et rien d’autre, elle voulait asphyxier, étouffer, le spectateur pour qu’il comprenne le poids qui pesait sur l’esprit et le corps de Charlotte. Il n’est en réalité pas seulement question de compréhension mais de ressenti. Il semble qu’on ressente ce poids physiquement en tant que spectateur. S’il n’y a aucune image choquante dans ce film, la violence est décuplée chez le spectateur qui reçoit de plein fouet la souffrance de Charlotte. Pour beaucoup, cela a permis de comprendre réellement ce qu’elle a vécu ou ce que d’autres personnes vivent. Cela a permis de saisir le poids permanent qui pèse sur les épaules et l’esprit d’une personne souffrant de TCA.

Dans sa réalisation, elle a choisi de filmer en plans serrés afin de diriger notre regard vers le corps des actrices et rien d‘autre.

Pour ce qui est de la création du film en soi, Margaux a endossé le rôle de scénariste et de réalisatrice. Endosser la première casquette était une évidence et une libération. Endosser la deuxième fut plus difficile parce qu’elle ressentait une forte illégitimité dans ce rôle. Portée par ses équipes techniques, actrices et acteurs, elle a réussi à dépasser ce sentiment d’imposture.

Aussi compréhensible qu’il soit, ce sentiment n’est par ailleurs pas justifié. En plus de signifier tant, les images sont belles.

© Guillaume Le Guen

Après avoir vu ce film, on a le cœur brisé, on est touché et on a envie de s’en sortir ou d’aider nos proches à s’en sortir. Sa puissance tient à son pouvoir d’identification et à la clarté avec laquelle il expose ces troubles, permettant de mieux les combattre et les comprendre.

Alors à ton image Margaux, on souhaite Cannes à ce court-métrage. Ou bien tout simplement, et ce serait déjà beaucoup, on lui souhaite d’aider, de faire prendre conscience et de libérer.

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