“Un si long silence”: lorsque la parole brise la glace

Le 11 mai, sur France 2, était diffusé le film « Un si long silence », adaptation du livre du même nom écrit par Sarah Abitbol et Emmanuelle Anizon. Sarah Abitbol y raconte avec force et humanité l’enfer qu’elle a vécu et son long chemin de reconstruction. Le chemin est long mais « si j’avais su, j’aurais parlé plus tôt » affirme-t-elle.

Sarah Abitbol, ancienne championne de patinage française à vécu l’enfer de ses 15 à 17 ans. Violée par son entraîneur, Gilles Beyer, elle n’ose pas parler, a honte, se renferme sur elle-même, ne performe plus. La première fois, c’était l’été 1990, lors d’un stage de performance à la Roche-sur-Yon, « Tout ça c’est un secret, [sa main sur ma bouche] me fait taire ». Rentrée à Paris, pendant 2 ans, tous les recoins de la patinoire de Bercy deviennent des lieux de cauchemars. « Il avait toutes les clés », connaissait par cœur son « terrain de jeu ».

Pendant 2 ans, tous les recoins de la patinoire de Bercy deviennent des lieux de cauchemars. « Il avait toutes les clés », connaissait par cœur son « terrain de jeu ».

Le documentaire réalisé par Emmanuelle Anizon et Rémy Burke repose sur les vidéos amateurs filmées par le père de Sarah, fier de sa fille. On y voit Sarah et son entraîneur, la petite tape sur les fesses avant qu’elle entre sur la glace. On souhaite crier, avertir que cette tape n’était pas normale, avertir comme Sarah voulait « crier son désespoir » en patinant sur la musique « Sacrifice » d’Elton Jones, à la fin de ce stage de l’été 1990. Pour Sarah, ces viols ont « cassé quelque chose dans mon corps, dans mon âme ».

En 1993 elle rencontre Stéphane Bernadis et commence le patinage en couple, elle ne sera plus entraînée par Gilles Beyer. Pour se protéger et renaître elle oublie. Un oubli qui lui permet de refaire sa vie, de se reconstruire. En couple, Stéphane Bernadis et Sarah Abitbol sont les nouvelles stars du patinage artistique français. Amoureux dans la vie, performants sur la glace, ils font rêver. Un rêve qui se brise en même temps que son tendon d’Achille en entraînement la veille des JO de Salt Lake City en 2002.


Sarah Abitbol et son partenaire Stéphane Bernadis lors des Championnats d'Europe, à Bratislava, le 24 janvier 2001.PHOTO - AFP/ARCHIVES - OLIVIER MORIN

Malgré une rééducation rapide et un retour sur la glace aux Mondiaux, Sarah ne va pas bien, son enfance lui revient en flash, elle ressent le manque d’une partie de sa vie. Incomplète, elle ne sait plus comment se retrouver. Quelques mois après, elle rencontre Olivier Marmurek, avec qui elle aura pour la première fois les flashs de ses viols. Elle doit depuis vivre avec de douloureux souvenirs. Sans réussir à porter plainte, elle en parle à ses parents et informe le club des Français volants de Paris, qui ne donne pas suite à ces accusations. Elle cherche alors à s’éloigner des souvenirs douloureux, oublier de nouveaux, fuir pour réussir à vivre. Sans succès. Sarah semble seulement survivre, prisonnière du passé, toujours victime de cet homme.

Elle cherche alors à s’éloigner des souvenirs douloureux, oublier de nouveaux, fuir pour réussir à vivre. Sans succès. Sarah semble seulement survivre, prisonnière du passé, toujours victime de cet homme.

En 2018, en regardant « La consolation » – film où Flavie Flament raconte s’être fait violée par le photographe David Hamilton– Sarah comprend que sa seule libération sera celle de la parole. Elle rencontre alors Emmanuelle Anizon. Le long parcours de l’écriture et de la libération commence. Les deux femmes découvrent le monde caché du patinage artistique, celui des commérages, des bruits de couloirs, jamais trop forts pour ne pas risquer sa place ou sa médaille. Un monde où les résultats et les apparences deviennent plus importants que les vies des athlètes. Enfin un monde où Gilles Beyer avait déjà violé ; il avait déjà été révoqué de son poste de conseiller technique de la fédération française de sports de glace (FFSG), suite à deux enquêtes pour abus sexuels sur mineures.

La sortie de l’article dans l’Obs en janvier 2020 puis du livre « Un si long silence » a un retentissement inimaginable pour ses auteures. Le 30 janvier Sarah Abitbol est l’invitée de Léa Salamé lors de la matinale de France Inter. C’est le début d’une renaissance pour Sarah, mais c’est aussi le début d’une prise de conscience politique des problèmes de violences sexistes et sexuelles dans le sport. Roxana Maracineanu, ministre des sports, demande la démission de Didier Gailhaguet, président de la FFSG, celui-ci démissionnera le 8 février « dans un souci d’apaisement », considérant qu’il n’a rien à se reprocher.


Au-delà du patinage artistique, les révélations de Sarah Abitbol vont permettre une libération de la parole dans toutes les fédérations sportives.

Au-delà du patinage artistique, les révélations de Sarah Abitbol vont permettre une libération de la parole dans toutes les fédérations sportives. A la suite du mouvement #metoo dans le domaine du cinéma, le mouvement #balancetonsport, lancé par deux judokates Charline Van Snick et Lola Mansour permet la libération de la parole dans le domaine du sport.

Sarah Abitbol se raconte dans le documentaire «Un si long silence» sur France 2. MPP/Lionel Guericolas

Cette libération touche toutes les fédérations. La politique s’est aussi emparée du problème ; Roxana Maracineanu organise une première convention nationale de prévention des violences dans le sport le 21 février 2020. Cette convention rassemble tous les présidents des fédérations, le Comité national olympique et sportif (CNOS) et de plusieurs secrétaires d’État : Adrien Taquet, Nicole Belloubet et Marlène Schiappa. La convention permet d’ouvrir le débat et de centraliser les actions de prévention contre les violences sexuelles. Le ministère s’est entouré d’experts afin d’éduquer, de sensibiliser et d’accompagner les victimes, et notamment l’association « Colosse aux pieds d’argile ».

« Colosse aux pieds d’argile » est fondé en 2013, par Sébastien Boueilh, ancien rugbyman abusé par un membre de sa famille entre 12 et 16 ans. Après son procès, il décide de créer son association d’abord dans le Pays Basque, puis en France. Aujourd’hui l’association s’est développée à l’international. Elle est la première en France sur la sensibilisation, l’accompagnement et la formation contre les violences sexuelles.

Les révélations de Sarah Abitbol ont permis de briser l’omerta et d’ouvrir 700 enquêtes contre 655 agresseurs pour protéger 800 victimes.

Les révélations de Sarah Abitbol ont permis de briser l’omerta et d’ouvrir 700 enquêtes contre 655 agresseurs pour protéger 800 victimes. Selon l’enquête internationale Disclose en décembre 2019, 1 jeune sur 7 serait victime de viols ou agression sexuelle avant 18 ans. 2 ans après la publication du livre de Sarah Abitbol, où en est-on ? Selon la Ministre déléguée aux sports le chemin est encourageant, il est sûrement encore long, mais aujourd’hui les fédérations ont des outils pour protéger les jeunes, les nombreuses formations permettent d’aider les éducateurs à comprendre les signaux d’alertes et un travail colossal est fait pour déconstruire un système protégeant les agresseurs pour des résultats et pour une image. Sarah Abitbol continue son combat avec l’association qu’elle a créé « La voix de Sarah », elle vit aujourd’hui libérée, c’est pour elle sa « médaille d’or olympique ».

Pour aller plus loin :

Bande d’annonce du film « Un si long silence » : https://www.youtube.com/watch?v=BMVlMtyCF-I

Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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