A l’aune du «troisième tour social», à quoi ressemblerait une assemblée représentative ?

Promesse de campagne non-tenue par Emmanuel Macron, l’instauration d’une dose de proportionnelle aux élections législatives est un débat de longue date ramené ces dernières années sur le devant de la scène par François Bayrou dans une lettre adressée à Emmanuel Macron pour réclamer l'instauration de la proportionnelle dès les législatives de 2022. Alors que la France Insoumise et le Rassemblement national s’imposent véritablement parmi les plus grandes forces politiques du pays, leur représentation dans l’hémicycle est très faible pour ne pas dire ridicule. Ils sont les grands perdants de l’instauration en 1958 d’un scrutin majoritaire. Or, comment l’Assemblée peut-elle défendre fidèlement les intérêts de la population si les principaux courants politiques n’y sont que peu ou pas représentés ?

Alors que la France Insoumise et le Rassemblement national s’imposent véritablement parmi les plus grandes forces politiques du pays, leur représentation dans l’hémicycle est très faible pour ne pas dire ridicule.

Si Marine Le Pen réclame la proportionnelle aux législatives, elle souhaite également une prime majoritaire de 30% pour la liste arrivée en tête. Le chef de file des Insoumis s'est également joint à la proposition de François Bayrou et plaide même pour présenter une proposition de loi commune au Parlement, avec le MoDem et les autres partis qui le souhaiteraient. A titre personnel, Jean-Luc Mélenchon veut aller beaucoup plus loin et milite depuis 2012 pour l’écriture d’une VIe République par une assemblée constituante qui serait composée pour moitié de citoyens tirés au sort. Une mesure peut-être trop démocratique pour la majorité des Français.

Le scrutin majoritaire favorable à la constitution d'une majorité stable 

Afin de comprendre cette tradition du scrutin majoritaire, il faut revenir aux origines de la Vème République. Pour le Général de Gaulle et les gaullistes, la question du mode de scrutin des députés faisait partie des plus importantes. Ils étaient hostiles à la représentation proportionnelle mise en place sous la IVe République qui était connue comme défavorable à la constitution d'une majorité stable et, à ce titre, accusée de contribuer au « régime des partis » selon les mots de De Gaulle dans son Discours de Bayeux.

À l’inverse, le scrutin majoritaire, qui avait les faveurs des gaullistes, favorise des majorités cohérentes et stables puisque le siège est attribué au candidat arrivé en tête : comme l’écrit Michel Troper, Professeur de droit public à l’Université Paris-Nanterre, « en d’autres termes, les tendances minoritaires ne sont pas représentées et les voix qui se sont portées sur elles sont perdues ». En effet, un parti qui représente 15 % de l’électorat obtiendra 15 % des sièges dans un scrutin proportionnel, sans effet de seuil. Or, dans un scrutin majoritaire uninominal, il peut bien n’en obtenir aucun s’il n’arrive à obtenir la majorité des suffrages dans aucune circonscription. Le nombre actuel de députés du Rassemblement national (8 sur 577) ou de la France insoumise (17 sur 577), bien inférieur au poids de leur électorat, montre bien comment le scrutin majoritaire contribue à sous-représenter les partis minoritaires, y compris les plus importants comme en témoignent les résultats de ce dimanche. 

L’argument traditionnel en faveur du scrutin proportionnel est qu’il est considéré comme plus « démocratique » puisque mieux représentatif. Il est néanmoins possible de mettre en avant une limite à cet avantage, en faisant valoir qu’un scrutin majoritaire, quand il est uninominal comme celui des députés, permet aux électeurs de choisir directement leur représentant contrairement au scrutin proportionnel qui est nécessairement un scrutin de liste, liste dont la composition est arrêtée par les partis. Dans ce cas de figure, un leader de parti s’assure pour lui et ses plus proches soutiens une élection quasiment garantie en se plaçant dans les premières places de la liste en question. 

L’argument traditionnel en faveur du scrutin proportionnel est qu’il est considéré comme plus «démocratique» puisque mieux représentatif.


Dans tous les cas, comme le basculement vers un scrutin majoritaire était un élément prioritaire du projet gaullien – en raison du rôle qu’il devait jouer pour stabiliser les majorités et par voie de ricochet l’existence des Gouvernements -, il profita de sa position de force pour l’imposer. Outre l’argument de la stabilité parlementaire, les gaullistes ont aussi pu mettre en avant que de grandes démocraties utilisaient le scrutin majoritaire pour l’élection de leur chambre haute : le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Inde en particulier. Ou encore que le scrutin proportionnel de liste ne fût jamais une véritable tradition républicaine puisque son introduction ne date que de 1946. En effet, sous la IIIème, le scrutin majoritaire était déjà la norme (12 élections sur 15) et ne fut écarté qu’à de brèves périodes (1885-1889 et 1919-1927). 

Pour s’assurer de la possibilité de l’introduction du scrutin majoritaire, le Gouvernement réussit à obtenir une habilitation directe par la Constitution pour fixer le mode de scrutin des parlementaires par l’intermédiaire de l’article 92 alinéa 2, aujourd’hui abrogé: « Pendant le délai prévu à l'alinéa 1er de l'article 91, le Gouvernement est autorisé à fixer par ordonnances ayant force de loi et prises en la même forme le régime électoral des assemblées prévues par la Constitution ».


C’est donc une « ordonnance 92 » du 17 octobre 1958 qui instaura comme mode d’élection des députés le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, autrement dit le même scrutin que pour l'élection du Président de la République depuis 1962. Cette ordonnance ne fut pas modifiée… jusqu’en 1986. 

Le bref changement de 1986

À la veille des élections législatives de mars 1986, François Mitterrand et le parti socialiste, alors au pouvoir, décident de modifier le mode de scrutin pour revenir au scrutin proportionnel de la IVe République. Officiellement, il s’agissait de renouer avec un scrutin qui garantit une meilleure représentativité des différents courants politiques. Le retour au scrutin proportionnel figurait d’ailleurs dans le programme du Parti Socialiste lors de l’élection présidentielle de 1981. 


Le fait que cette mesure du programme ne soit mise en œuvre que cinq ans plus tard, à la veille des élections législatives de surcroît, met la puce à l’oreille quant à l’existence d’une raison officieuse, moins avouable car plus politique. À l’époque, tous les instituts de sondage prédisent une défaite sans appel du PS lors des élections législatives de 1986. L’introduction du scrutin proportionnel est alors perçue par le parti socialiste comme un moyen d’atténuer la défaite dès lors que l’on suppose qu’il permettra à l’extrême droite d’obtenir plusieurs dizaines de sièges à l’Assemblée nationale au détriment de la droite. Et en effet, pour la première fois de son histoire le FN obtient des députés à l’Assemblée nationale, et même bien plus qu’aujourd’hui (35) alors que son poids politique s’est depuis lors renforcé. La défaite socialiste reste néanmoins cuisante…

De retour au pouvoir, la droite par l’intermédiaire du Premier ministre Jacques Chirac fait voter un retour au scrutin majoritaire avec la loi du 22 novembre 1986. La raison officielle est que le mode de scrutin proportionnel est contraire à l'esprit des institutions voulues par le Général de Gaulle. Officieusement, on peut aussi déceler une raison politique qui est évidemment la même que celle du PS mais à l’envers en quelque sorte : le scrutin proportionnel favorise trop le FN et l’augmentation de députés FN se fait souvent au détriment des députés de droite. Deux ans plus tard, en 1998, les socialistes reviennent au pouvoir grâce à la victoire de François Mitterrand à la présidentielle de 1988. Malgré les pressions des écologistes, qui ont historiquement été favorables à un scrutin à la proportionnelle, ni la droite républicaine ni la gauche en changeront à nouveau le mode de scrutin, resté jusqu’à aujourd’hui exclusivement majoritaire. 

Vers un scrutin mixte ? 

Avec le maintien du suffrage majoritaire, la surreprésentation des grands partis à l’Assemblée nationale se prolonge, ce qui a pu être analysé comme contribuant à la dévalorisation de l’Assemblée nationale et, de manière générale, comme alimentant la crise de la démocratie représentative. Dans le même temps, le retour à la proportionnelle fait figure d’épouvantail à la fois parce qu’il est associé à l’instabilité chronique de la IVe République mais aussi pour des raisons plus politiques en raison de la montée en puissance dans l’électorat de partis présentés comme « populistes ». 

Une solution de compromis simple existe : le scrutin mixte, pour partie majoritaire et pour partie proportionnel. Absent en 1958, ce scrutin est désormais utilisé pour deux élections : les élections régionales et les sénatoriales.

Une solution de compromis simple existe : le scrutin mixte, pour partie majoritaire et pour partie proportionnel. Absent en 1958, ce scrutin est désormais utilisé pour deux élections : les élections régionales et les sénatoriales.

Pour essayer de ménager la chèvre et le chou, la commission de rénovation et déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin proposait, déjà, dans son rapport remis au Président de la République François Hollande le 9 novembre 2012 d'introduire une petite part de proportionnelle pour l'élection des députés : le rapport proposait que 10 % d'entre eux, soit 58 députés, puissent être élus au scrutin de liste à un tour dans une circonscription nationale unique, ce qui mécaniquement supposerait de réduire d’autant le nombre de circonscriptions électorales pour l’élection au scrutin majoritaire. Le rapport de l’Assemblée nationale Refaire la Démocratie de 2015 prônait également l’introduction du scrutin proportionnel, mais de manière plus ambitieuse encore avec un scrutin mixte 50/50. 

Le programme de révision des institutions d’Emmanuel Macron souhaitait quant à lui traduire dans le droit positif un scrutin mixte pour l’élection des députés. Dans les premiers projets présentés, la part des députés élus à la proportionnelle reste faible, ce qui mécontente des partis comme le Rassemblement national ou la France insoumise. La demande d’une meilleure représentativité issue notamment de la crise des « gilets jaunes » n’a fait que rendre plus prégnant encore l’introduction d’une « dose de proportionnelle ». 

La proportionnelle, tout le monde en parle, mais in fine personne ne l’applique : Nicolas Sarkozy et François Hollande en leur temps y étaient favorables. Avec ce système, la chambre basse ressemblerait davantage à une photographie de l’opinion publique. Mais aucune sensibilité politique ne bénéficierait d’une majorité absolue, ce qui impliquerait de faire des alliances et des compromis sur le fond.

La proportionnelle, tout le monde en parle, mais in fine personne ne l’applique.

Si la proportionnelle est avant tout une question d’équité démocratique, il s’agit en réalité surtout de pouvoir changer de culture politique, de passer d’une culture de l’affrontement à une nécessité de négocier, de rechercher des compromis, et donc de dépersonnaliser les décisions. De quoi rendre notre démocratie un peu moins frontale, un peu plus mature. Toutefois, cette hypothèse semble de plus en plus improbable, du moins dans un horizon proche.


Quels enjeux pour les législatives

à venir ?

Si le résultat de ce second tour de l’élection présidentielle est la victoire d'Emmanuel Macron sur Marine Le Pen, il n’est pas garanti pour autant que le grand gagnant du second tour obtienne une majorité à l’Assemblée. 

Le Président sortant, Emmanuel Macron, ne bénéficiait déjà plus que d’une majorité relative sur la fin de son mandat et devra cette fois affronter conjointement les candidats du parti Horizons d’Édouard Philippe et l’ambition du MoDem. Un dérapage est également toujours possible, comme celui de Jean-Louis Borloo, qui en avouant réfléchir à une TVA sociale en 2007 fit perdre près de 70 à 80 sièges à son parti. La stratégie du président de s’appuyer sur une large majorité avec l’inclusion probable de transfuges du PS et des Républicains tout en prétendant à un vote d’adhésion au second tour de la présidentielle pourrait néanmoins payer et lui permettre de mener sans états d’âme les différents projets de réforme mis en pause avant l’élection, à l’instar de la réforme des retraites.


Qu’en est-il de Marine Le Pen, qui n'avait même pas assez de députés pour former un groupe parlementaire dans cette XVème législature ? Ceux-ci tablaient en cas de défaite au second tour sur un cheptel de 50 à 100 députés pour leur candidate, contre une dizaine actuellement. À vrai dire, ces prévisions semblent totalement irréalistes avec la volonté affichée d’Éric Zemmour de présenter un candidat dans chacune des 577 circonscriptions du pays et le refus préliminaire du RN de rejoindre « l’union des patriotes » proposée par Reconquête, refus qui semble principalement motivé par le fait que le nombre de voix recueillies aux législatives détermine le financement des partis pour les cinq ans qui viennent. Or, le RN doit faire face à une dette de 27 millions d’euros tandis qu’Éric Zemmour a besoin de financer le futur de son aventure politique.

Cependant, la géographie du vote d’extrême-droite nous enseigne que pendant qu’Éric Zemmour enregistre ses meilleurs scores dans des villes aisées comme Saint-Tropez, Neuilly-sur-Seine, Versailles ou Saint-Barthélemy, le vote RN est plutôt caractéristique des territoires ruraux et péri-urbains.

Ce qui empêcherait Marine Le Pen de bénéficier des 100 sièges projetés pour son parti dans les premiers sondages serait ainsi plutôt la faible participation tendancielle de son électorat à cette échéance électorale et le vote barrage que subissent ses candidats au second, plutôt que le probable refus de s’allier avec son concurrent polémiste.

Les deux candidats devront également faire face à un électorat de gauche encore sous le choc du premier tour et ne souhaitant visiblement pas faciliter la constitution d’une majorité parlementaire pour le futur président. L’appel à voter aux législatives pour des candidats de gauche et à mettre en place une véritable union dans le cadre de l’Union populaire proposée par la France Insoumise est déjà amorcé avec pour objectif affiché de forcer une cohabitation avec le président élu, en témoigne le refrain médiatique d’un « troisième tour social » qui pourrait se conclure par la nomination de Jean-Luc Mélenchon au poste de Premier ministre.

La partie n’est donc pas jouée et seule la mobilisation des électeurs dictera l’issue de ce scrutin.

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