Vers l’instauration d’un arrêt menstruel en France ?

« 50% paient pour procréer 100% de l’humanité ». Dans une salle de l’Assemblée nationale, le matin du 26 mai, Gaëlle Baldassari, écrivaine et fondatrice de @Kiffetoncycle, qui a pour mission de sensibiliser et d’éduquer sur la question des règles, prononce cette réalité. En effet, les femmes payent de douleurs leurs règles, de leur argent les prix des protections périodiques, de leur silence, enfin, ce secret commun, ce tabou des règles, de la ménopause, des maladies liées à leur santé menstruelle.

Photo de groupes des intervenants lors des tables rondes à la fin du colloque du 26 mai à l’Assemblée Nationale © Jeanne Ville

Les débuts d’une révolution face à la banalisation des douleurs menstruelles

Une réalité contre laquelle tentent de lutter les députés Sébastien Peytavie, Sandrine Rousseau et Marie-Charlotte Garin avec leur proposition de loi visant à instaurer un droit à un arrêt menstruel pour les femmes souffrant de leurs menstruations en France. Ils ont aussi organisé un colloque le 26 mai à l’Assemblée nationale, au cours duquel plusieurs invités ont fait face à ce « consensus social de silence ». Ils ont brisé le tabou : ils ont parlé des « règles » (oui oui, en prononçant ce mot dans l’enceinte du palais Bourbon).

Cette révolution a débuté en Espagne, lorsque le 16 février, les députés espagnols ont adopté une loi instaurant un arrêt menstruel. Un « jour historique pour les avancées féministes » selon la ministre de l’Égalité espagnole. Un tel dispositif existe aussi au Japon, dans la loi depuis 1947 (bien que seulement un tiers des entreprises proposent de payer ces jours), ou encore en Zambie ou en Corée du Sud. En France, il y a aussi quelques exemples d’entreprises et de collectivités engagées. La municipalité de Saint-Ouen notamment, en Seine-Saint-Denis, a instauré cette mesure, comme à l’échelle des entreprises de Thomas Devineaux (LOUIS, mobilier de bureau eco-responsable) et de Burcu Erduguran (Goodays), présents lors du colloque du 26 mai.

Face aux craintes d’excès d’usage de cet arrêt menstruel, le maire de Saint-Ouen avait répondu que la plus grande problématique était surtout la déculpabilisation et la banalisation de cet arrêt menstruel, ainsi qu’à une intériorisation de la souffrance de la part des femmes. Les mesures nécessitent par ailleurs un certificat médical et concernent ainsi les personnes souffrantes de maladies menstruelles, qui n’ont actuellement ni les moyens de travailler, ni de s’arrêter.



La révélation d’un « non-problème » oubliant le vécu des femmes

Des avancées qui semblent nécessaires, lorsque l’on connait certains chiffres : les femmes menstruent pendant 2 280 jours lors de 38 années. Elles utilisent près de 11 500 protections menstruelles dans leur vie pour un coût allant de 8 000 à 23 000 euros, soit 10 à 50 euros par mois. 10% des personnes souffrent d’endométriose.Enfin 65% des personnes interrogées par un sondage de l’IFOP disent avoir déjà rencontré au moins une difficulté au travail liée à leurs règles.

La proposition des députés français permettrait aux femmes de déposer 13 jours d’arrêt de travail par an pour menstruations incapacitantes remboursés par la Sécurité sociale par un certificat médical valable un an, mais aussi de recourir plus facilement au télétravail, d’élargir l’index d’égalité professionnelle ou même de garantir l’accès à des sanitaires adaptées.

Elle se voit comme la suite d’une série de décisions politiques sur lesquelles Héloïse Hardy, ancienne collaboratrice parlementaire et membre de la Fondation des Femmes, revient : « la précarité menstruelle » a été le premier terrain d’action en 2015, notamment face à « la TVA des protections menstruelles, taxées comme des produits de luxe ». Puis, en 2017, le gouvernement a adopté quelques mesures, comme le fait de « donner des protections dans certains collèges, lycées et université, et aider les femmes SDF et celles en prison ».



« C’est à la société de s’adapter à nous et pas l’inverse » (Raphaëlle Rémy-Leleu)

De droite à gauche : Sébastien Peytavie, Léa Chamboncel et Sandrine Rousseau lors du colloque du 26 mai à l’Assemblée nationale © Jeanne Ville

Lors du colloque, deux tables rondes se sont enchaînées : « Avoir ses règles au travail : entre calvaire et invisibilisation » et « L’arrêt menstruel : vers la reconnaissance de la santé menstruelle et gynécologique au travail ? ». Lors de la première, Charline Gayault, sage-femme et créatrice de contenu l’affirme, la première avancée qui consiste à… en parler : la charge mentale des femmes est alors allégée face à des menstruations que certaines de ses abonnées vivent comme un « enfer », et la connaissance de ce sujet en permet une meilleure appréhension par tous.

L’arrêt menstruel est aussi un vecteur de solutions face aux réticences de certaines femmes à consulter concernant leurs douleurs pendant leurs règles qui – spoiler – sont anormales ! Beaucoup souffrent encore en silence : l’arrêt menstruel représente alors une première étape pour reconnaître leurs douleurs, encore trop majoritairement ni traitées, ni même diagnostiquées. Certaines se voient même critiquées par d’autres femmes, comme une participante au colloque prenant la parole pour confier son témoignage. Diagnostiquée d’endométriose, ses fortes douleurs pendant ses règles ont été décrédibilisées par sa mère, qui ne comprenait pas les souffrances de sa fille face à cette « expérience commune avec un vécu différent ».

« Entendre les caractéristiques de chacun », répond Charline Gayault, « c’est considérer la personne ». Alice Bœuf, doctorante en sociologie, avance le terme « menstrudiversité », dont la reconnaissance est, selon elle, « un des énormes leviers pour faire changer la société à ce sujet ». Ayant écrit le mémoire de son master sur les menstruations au travail, elle s’est intéressée sur le rôle des hommes dans l’éducation aux menstruations. Au cours de ses recherches, elle découvre une étude australienne qui montre que les « pères se positionnent au 10ᵉ rang pour informer leurs filles » sur leurs règles, prouvant l’existence d’une « lignée de genre dans l’information », alors qu’eux aussi « ont la charge de leurs enfants ».

La proposition de loi pose enfin la question de la prise en compte des personnes transgenres et non-binaires dans cette disposition. En féminisant la loi, cette dernière risque de les exclure. La députée Raphaëlle Rémy-Leleu rappelle l’exemple du projet de l’inscription de l’IVG dans la Constitution, approuvé avec le terme « personnes » à l’Assemblée Nationale, aussitôt amendé pour le terme « femmes » au Sénat.

Le texte se voit comme un début dans la lutte contre un « milieu du travail essentiellement masculin » et visant toujours le « progrès par la productivité ». Elle a pour vocation de transformer les menstruations en une véritable question de santé publique. Un arrêt menstruel qui se veut donc initiateur de changements.

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