Pourquoi l’extrême droite pourrait gouverner en Espagne dans un mois ? 

Les élections municipales et régionales du 28 mai 2023 constituent une défaite cuisante pour la gauche sociale démocrate de Pedro Sanchez  (PSOE) au pouvoir depuis 2019 en Espagne. Ces élections qui consistent à renouveler les conseils municipaux ainsi que les députés régionaux aux parlements des communautés autonomes espagnoles, parmi lesquelles la Catalogne (nord-est) où le Pays-Basque (nord-ouest), donnent une idée de la tendance qui pourrait se dessiner pour les élections à venir. Elles sont un enjeu politique très important puisqu’elles précèdent traditionnellement les « élections générales », autrement dit les législatives, *qui ont traditionnellement lieu en décembre pour élire les 350 député-es au niveau national qui décideront à leur tour du ou de la prochain-e chef-fe de gouvernement. 

Une marée bleue et verte aux élections locales de mai 2023

Seulement, tout ne se passe pas comme prévu. La remontada de la droite traditionnelle du Partido Popular (PP) qui a récolté près de 32% des votes et qui a déjà gouverné maintes fois le pays, annonce la couleur, le bleu clair en l’occurrence, pour les prochaines élections générales avancées d’urgence au 23 juillet par le Premier Ministre socialiste Pedro Sanchez, dès le lendemain des élections locales pour tenter d’inverser la tendance. Le scénario pourrait sembler assez classique dans un pays où le paysage politique a longtemps été dominé par le bipartisme PP / PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), à une exception près : le score très important de l’extrême droite de Vox qui (7% des voix), longtemps restée faible. La progression de Vox oblige la droite traditionnelle à s’associer à l’extrême droite.  Plusieurs grandes villes dont les maires étaient à gauche voir à l’extrême gauche (Podemos) ont été « reprises » par la droite PP, comme Valence, Séville ou Saragosse souvent grâce à l’élection de nombreux-euses conseiller-ères municipaux étiqueté-es Vox. Depuis le 28 mai, on assiste à de nombreuses coalitions de la droite  avec l’extrême droite partout en Espagne tant au niveau municipal qu’au niveau régional. En s’associant dans tout le pays au niveau local, le PP brise ainsi le cordon sanitaire, qui n’était pas très robuste, entre le PP et Vox pour peut-être gouverner ensemble demain. On peut citer l’exemple de la Communauté Valencienne dont la capitale est Valence, 3ème ville du pays en nombre d’habitants, où la droite a été obligée de s’associer à l’extrême droite pour pouvoir gouverner. C’est le cas aussi dans la communauté de l’Aragón, voisine de la Catalogne où triomphe l’indépendantisme catalan, dans laquelle le PP s’est associé à Vox sans même y être exigé. 

Des cadres du Partido Popular à gauche de l’image, avec ceux de Vox à droite préparent « 50 points » pour gouverner ensemble la Communauté Valencienne, le 16 juin 2023

Vox, doucement mais sûrement

Le parti Vox est né en 2013, créé par une branche radicale du PP qui reprochait au parti d’être trop laxiste dans ses politiques migratoires, ainsi que vis-à-vis des indépendantistes catalans et basques. On notera que Vox a été créé dans un contexte économique et social critique suite à la crise de 2008 qui a frappé durement l’Espagne, et suite à des années de politiques d’austérité des gouvernements successifs de gauche libérale comme de droite. En parallèle, le pays avait été secoué par le mouvement des indignés, « los indignados », à partir de 2011 jusqu’en 2015, véritable marée populaire  à l’initiative  essentiellement de jeunes étudiant-es et travailleur-euses précaires mais aussi de nombreux chômeur-euses, de toutes les générations. En 2013, année de création de Vox, le chômage avait atteint un pic extraordinaire en représentant 26% de la population active au niveau national, parmi les plus hauts en Europe avec la Grèce et l’Italie. À la même période, le mouvement des indigné-es rassemblait entre 6 et 8 millions de personnes en 2011, principalement à Madrid sur la célèbre Puerta del Sol. Le mouvement débouchera sur la création du parti Podemos, se revendiquant de gauche radicale et anticapitaliste, pour constituer une alternative à la sociale démocratie néo-libérale du PSOE, mais aussi à l’extrême droite populiste et xénophobe de Vox. En 10 ans d’existence, Vox a réussi à devenir le 3ème parti le plus important d’Espagne au Congrès des députés (Assemblée nationale) avec ses 52 député-es. Le parti ne s’est hissé réellement au niveau national qu’en 2019, avec son entrée en force au parlement de Madrid, devenant le premier parti d’extrême droite à intégrer ce dernier depuis la transition démocratique de 1978 mettant fin à 45 ans de dictature franquiste. 

Un parti héritier du franquisme, qui récolte la peur des indépendantismes 

Lors de sa création, Vox a eu pour ambition de réunir en son sein les différentes tendances d’extrême droite espagnole : libéraux conservateurs, monarchistes, eurosceptiques, unionistes radicaux, qui se faisaient petits depuis les années 80, suite à une histoire tumultueuse. Ce qui rassemble ces différentes tendances est la volonté de revenir sur la constitution de 1978 qui délègue un certain degré d’autonomie aux 17 communautés autonomes d’Espagne, autrefois formellement interdites et réprimées par la dictature de Franco de 1939 à 1975. 

Alors que le premier parti d’extrême droite xénophobe, machiste, climatosceptique et antirégionaliste décomplexé voit le jour, à la même période que Podemos et que le parti Ciudadanos « ni de droite ni de gauche » sur le modèle du macronisme français, l’indépendantisme progresse en Catalogne à partir des années 2010. Plusieurs référendums ont été organisés en Catalogne bien que déclarés systématiquement anticonstitutionnels par l’État espagnol. Celui de 2017, à l’origine d’une crise politique importante ayant entraîné un fort mouvement de contestation, a crédit le « oui » à l’indépendance de 90% des votes. L’indépendantisme catalan trouve ses origines dans l’histoire ancienne et récente, mais notamment dans la période franquiste où tout usage de la langue catalane (langue bien distincte de l’espagnol, ou castillan), était interdit et réprimé. La Catalogne est donc une région qui a particulièrement souffert pendant les 45 ans de franquisme, elle a été une cible privilégiée du régime avec le Pays Basque, deux régions aux langues et cultures propres. Ainsi, les politiques hostiles du PP de Rajoy au pouvoir entre 2011 et 2018, pour tenter de réduire l’autonomie de cette région et empêcher toute tentative de référendum sur l’indépendance, ont envenimé la situation et particulièrement en 2017, où la tentative de référendum rendue illégale par Madrid est sévèrement réprimée. Aux élections suivantes qui n’auront lieu qu’en 2021, la  droite et l’extrême droite ont ainsi récolté les voix des Espagnol-es et Catalan-es opposé-es à l’indépendance et terrifié-es par celle-ci. Ainsi, Vox passe pour la première fois la porte du Parlement de Catalogne, obtenant 11 sièges sur 135. Un fait très marquant lorsqu’on connaît l’ADN de ce parlement historiquement à majorité de gauche. En effet, en l’espace de 40 ans, presque aucun siège n'avait été occupé par un parti de droite pro-Madrid, et encore moins d’extrême-droite qui en était parfaitement absente. 

Manifestation indépendantiste à Barcelone en septembre 2017, pour réclamer le droit au référendum sur l’indépendance / © Getty Image

Ainsi, la progression de Vox qui est devenu un allié indispensable à la droite traditionnelle espagnole est un avertissement et/ou un avant-goût de la tournure que pourraient prendre les prochaines élections législatives espagnoles dans un mois pile, dans un pays plus polarisé que jamais. Si le PP arrivait en tête, on peut presque affirmer qu’il gouvernera main dans la main avec Vox, revenant sur de nombreux acquis sociaux, économiques, et sur les statuts des régions, sujet brûlant depuis le passage à la démocratie au début des années 80. Ce potentiel retour au pouvoir pourrait remettre de l’huile sur le feu en Catalogne, alors que la situation s’était calmée grâce à un accord trouvé entre les socialistes espagnols et la gauche indépendantiste modérée.

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