Barcelone, la ville qui croule sous le tourisme de masse {REPORTAGE}

Chaque année, environ 30 millions de touristes déferlent sur Barcelone, capitale de la Catalogne où vivent 1,7 millions d’habitant-es. Située sur la Costa Brava, région côtière du nord de l’Espagne, et riche de ses nombreuses plages et sites touristiques tels que la Sagrada Familia ou le Camp Nou, le stade du Barça, Barcelone est dans le top 10 des villes européennes les plus touristiques après Paris et Londres. À défaut d’être la capitale d’un pays, Barcelone est l’une des capitales mondiales du tourisme de masse, un tourisme low-cost qui cherche à visiter la ville pour pas cher et le plus rapidement possible. Son aéroport voit défiler 50 millions de voyageurs par an et son port est le premier port de croisière européen avec  3 millions de croisiéristes annuel. Ce reportage photo est le fruit de plusieurs mois de déambulation dans cette ville qui vit grâce au tourisme, mais qui a été abimée par des décennies d'ultra tourisme non régulé par les gouvernements successifs, tant au niveau de la région, la Catalogne, qu’au niveau national.  

Plage de la Barceloneta, des vendeurs ambulants, souvent sans papiers, appelés les « manteros » à côté d’un couple de touristes, juin 2023 © Dario Nadal

Au croisement de tous les tourismes

Le cas de Barcelone est intéressant car la ville concentre plusieurs types de tourismes. Elle attire aussi bien un tourisme familial et culturel que des fêtards du monde entier venus s’amuser dans les centaines de bars et discothèques qu’elle compte. Avec son climat méditerranéen et un coût de la vie moins cher que dans d’autres grandes villes européennes, la ville séduit beaucoup les touristes nord-européens, que les catalans aiment appeler les « guiris ». Ils sont toujours plus nombreux à s’y rendre en vacances chaque année, mais aussi à s’y expatrier. À Barcelone, les « guiris » ont plutôt mauvaise réputation, connus pour venir faire la fête sans chercher à connaître la ville et sa culture, et pour déambuler dans les rues ivres jusqu’au bout de la nuit, avec tout ce que cela implique. On y trouve aussi des centaines de croisiéristes qui y font étape pendant toute l’année pour à peine quelques heures, et qui se déplacent en troupeau, souvent derrière un guide qui tient un drapeau comme un berger avec ses moutons. 

Deux adolescents cherchent leur chemin, près de la Plaza Catalunya, mai 2023 © Dario Nadal


Véritable ville-monde, environ 150 nationalités différentes sont représentées à Barcelone, parmi lesquelles beaucoup de « guiris » expatriés : des Français, Anglais, ou Italiens, mais aussi une importante communauté latino-américaine, marocaine et pakistanaise. Étrangers comme Espagnols venus d’autres régions plus pauvres comme l’Andalousie, s’y rendent pour travailler, beaucoup dans la restauration ou l’hôtellerie. La ville est aussi connue pour sa législation avantageuse quant à la consommation de cannabis, autorisée dans des clubs qui sont répartis par dizaines dans toute la ville, ce qui participe à attirer les touristes intéressé-es. Enfin, c’est aussi une destination prisée du tourisme sexuel : la loi espagnole place la prostitution dans un flou juridique qui la rend « alégale » c’est-à-dire ni légale ni illégale. Barcelone est donc une ville qui attire beaucoup, autant les touristes que les travailleur-euse immigré-es qui souhaitent s’y installer pour travailler, de manière légale ou illégale

Un groupe de jeunes touristes autrichiens de passage à Barcelone, juin 2023  © Dario Nadal

Des dégâts écologiques et sociaux considérables

Premier port de croisière en Europe avec plus de 800 escales annuelles, situé aux portes de la ville, le port de Barcelone est aussi l’un des moins stricts quant à la régulation de la pollution imposée à la centaine de paquebots géants qui le fréquentent. Les paquebots peuvent y stationner en consommant les fiouls les moins chers qui sont aussi les plus polluants, et ils n’ont aucune obligation de poser des filtres aux cheminées qui rejettent les fumées toxiques contrairement à d’autres ports européens. C’est donc un pôle particulièrement attractif pour les compagnies de croisières. L’afflux massif de centaines de croisiéristes acheminés en autobus pour visiter la ville le plus rapidement possible engorge les rues et participe largement à sa pollution, mettant en danger la santé des habitant-es, et notamment ceux du quartier de Poble Sec, voisin du port.

Port industriel de Barcelone, avec en arrière plan un bateau de croisière en escale, juin 2023 © Dario Nadal

Un sujet politique 

Depuis plusieurs années, de nombreuses associations écologistes et collectifs de riverains s’organisent dans différents quartiers pour tenter de faire entendre leurs voix, en menant des actions contre les compagnies de croisières et des manifestations. L’arrivée d’Airbnb et autres plateformes de locations en ligne a provoqué une hausse des prix des loyers et du coût de la vie pour les habitant-es, particulièrement dans les quartiers pauvres comme El Raval situé au cœur de la ville qui en paient le prix fort. Le ras-le-bol des locaux face au tourisme de masse et ses conséquences est visible dans toute la ville via des graffitis et des banderoles accrochées à de nombreux balcons.

« Kill the tourist », tag dans le quartier de Gràcia, mai 2023  © Dario Nadal

La régulation du tourisme à Barcelone, mais aussi en Espagne (deuxième pays le plus visité au monde après la France avec 80 millions de touristes annuels environ), est un sujet politique hautement sensible. Ada Colau, maire de Barcelone du parti Podemos (gauche radicale) pendant 8 ans, a tenté de réduire le trafic automobile et de réguler le tourisme aérien et maritime, mais il manque encore beaucoup de volonté politique. Rappelons que l’Espagne s’était ouverte au tourisme dans les années 60 sous la dictature de Franco qui a l’a utilisé pour développer économiquement le pays tout en se maintenant au pouvoir. L’Espagne, grâce à son climat idéal, est vite devenue une destination phare pour les vacanciers d’Europe et du monde entier. Barcelone en est la parfaite illustration, et réguler le tourisme en réduisant le nombre de vols et le nombre d’escales pour les paquebots par exemple, a pendant longtemps été impossible à envisager car cela revient à se « tirer une balle dans le pied » pour beaucoup. Ces dernières années, la ville est frappée par la spéculation immobilière : des immeubles entiers sont rachetés par des fonds d’investissements, mettant à la porte des habitants désemparés qui tentent de s’organiser pour résister. L’enjeu est de trouver un juste milieu entre régulation du tourisme de masse, jusque-là non régulé par choix politiques, et des conditions de vie décentes pour les habitant-es qui subissent de plein fouet les conséquences de la gentrification, de la spéculation immobilière, de la massification et de la pollution dans leurs quartiers. 

« Contre l’exploitation dans l’hôtellerie, autodéfense des travailleur-euses », rassemblement d’une trentaine de salarié-es et syndicalistes face à un hôtel dans El Raval, mai 2023 © Dario Nadal

Le printemps 2023 aura été le plus chaud et sec jamais enregistré en Espagne, et cet été s’annonce excellent pour le secteur du tourisme à Barcelone, qui avait déjà en 2022 dépassé les chiffres d’avant Covid en termes de fréquentation. Un nouveau maire de gauche modérée (PSOE), Jaume Colboni, a été élu fin mai dernier, avec une position pas vraiment tranchée quant à la régulation du tourisme, marchant sur une ligne de crête. Après une période Covid vécue comme une respiration par les habitant-es de Barcelone, la ville a pleinement rouvert ses portes aux touristes du monde entier sans réellement repenser son modèle, ce que pour l’instant, elle n’a pas l’air d’être prête à faire. 

Vieux monsieur qui s’accroche à son arbre, quartier de Sants, avril 2023 © Dario Nadal

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