Suis-je fait pour la prépa ?L’exemple de Faidherbe

Alors que les élèves de terminale passent leurs épreuves de spécialité du baccalauréat, certains commencent sans doute à envisager une voie longtemps considérée comme élitiste : celle des classes préparatoires. Ces dernières séduisent - et questionnent - de plus en plus d’élèves. Suis-je fait pour la prépa ? Y est-on épanoui.e ?


La prépa, qu’est-ce que c’est ?

La classe préparatoire littéraire est l’une des trois grandes filières de prépa. La khâgne fait référence aux genoux dits « cagneux » des étudiants littéraires qui lisent courbés dans les couloirs. L’hypokhâgne, première année, empreinte son hypo du grec ancien « en dessous ».. Elle prépare à de nombreuses écoles, notamment grâce à la Banque d’Épreuves Littéraires, qui permet de passer non seulement l’ENS mais un florilège d’écoles, comme certains IEP, le CELSA, des écoles de traduction, mais aussi des écoles de commerce.


Le lycée Faidherbe de Lille est l’une des très bonnes prépas de province, elle est la 9e meilleure prépa littéraire selon le classement des prépas littéraires 2023 de l’Étudiant et parvient à envoyer tous les ans quelques-uns de ses élèves dans les fameuses écoles d’Ulm, de Lyon ou de Saclay. Derrière les grandes grilles grises et le bâtiment de l’administration se cachent une dizaine de longs rectangles de brique rouge encadrés par du béton et des longues pelouses vertes. Le campus est immense, et comprend un internat, plusieurs bâtiments dédiés aux préparationnaires, dont une salle d’examen, appelée « Salle des Lumières ». L’hiver, les élèves traversent dans l’obscurité en une petite dizaine de minutes le campus afin de parvenir à leurs salles de classes. À cette période, les khâgneux répètent aux hypokhâgneux qu’il faut attendre de passer décembre, que ça ira mieux ensuite, qu’il fera beau, que la déprime saisonnière est passagère. La déprime, le stress voire l’angoisse demeurent les symptômes souvent inévitables de deux ans de prépa où les attentes demeurent très élevées, le rythme éreintant, mentalement comme physiquement pendant les épreuves de concours blanc de six heures.

Lycée Faidherbe © Matthis Sauret

La prépa face aux inquiétudes de santé mentale, le covid comme révélateur


Un article de 2023 du Monde affirme qu’un jeune sur cinq présente des troubles dépressifs, un chiffre qui a quasiment doublé depuis 2017. Face à cette fragilité, se demander si l’on est « fait » pour la prépa, si l’on est capable de « tenir » est un questionnement qui paraît légitime. La possibilité que les classes préparatoires soient supprimées ou adaptées ouvre un dialogue entre le corps enseignant, CPE (Conseiller Principal d’Éducation) et les étudiants. La question de la santé mentale des élèves, de l’accompagnement, surtout après plusieurs années bouleversées par la crise du Covid 19, est désormais fondamentale.



La crise du Covid a fortement impacté l’organisation des prépas témoigne un CPE « C’était assez infernal, en particulier à cause des consignes sanitaires qui entraînaient beaucoup d'absences d'étudiants. Autre conséquence, cela perturbait fortement les rapports sociaux. Il n'y avait plus de mélange des classes au restaurant scolaire - le midi de 1400 à 1800 repas servis - et à l'internat - 538 lits -. Au niveau de la circulation et de l'organisation, c'était compliqué aussi. La peur d'être vecteur de la maladie était un frein aux échanges, sans compter la crainte de contaminer les propres membres de sa famille. » Malgré ces difficultés, Marie, une étudiante en Chartes témoigne de l’entraide pouvant exister entre étudiants sur les sujets de santé mentale  “[La majorité de mes camarades de classe sait] quand ça ne va pas, [ils] font ce qu’ils peuvent pour que ça aille mieux. Les professeurs, ça dépend lesquels. Certains savent s’y prendre, demandent comment ça va, essayent de prendre en compte le fait que ça n’aille pas, mais ils ont beaucoup d’élèves dans ce cas... D’autres se disent sans doute que c’est normal en prépa, qu’eux aussi sont passés par là, qu’ils n’en sont pas morts. »



Un milieu sélectif et compétitif




« La prépa est un milieu sélectif qui peut demander un capital culturel important, cependant, il n’y a pas de profil type. Et c’est ça qui est super, je trouve, en prépa. Il y a une pensée commune du profil type. S’il y a quelque chose qui nous caractérise tous, c’est l’envie d’apprendre, de se confronter à la difficulté. La prépa n’est pas choisie par tous, il y a certains étudiants qui sont là par défaut, mais ce n’est quasiment que des mentions Bien ou Très Bien au bac, et ça veut dire quelque chose. Ce sont des gens qui aiment travailler. Après, dans les profils en eux-mêmes, dans les spécialités ou la manière dont on appréhende la prépa, il n’y a pas de profil type. » témoigne un élève en spécialité géographie de la Khâgne Lyon de Faidherbe. Apolline, une autre étudiante, tend cependant à souligner le profil social des étudiants : “Ce sont des élèves issus d’une petite bourgeoisie intellectuelle qui ont des parents profs ou fonctionnaires. C’est encore plus rare en prépa de trouver des enfants de prolo que dans le reste du champ universitaire quoi.” Un professeur de Lyon souligne le fait que ce type d’enseignement s’adresse à tous : « Ce que je ne voudrais pas changer, c’est justement le principe même de la classe préparatoire : c’est-à-dire le fait que la classe préparatoire soit un enseignement d’exigence, qui valorise le travail, les qualités de l’étudiant, quelque soit son niveau ou son origine, puisque c’est un enseignement gratuit et public, à l’exception d’une inscription de base à l’université. C’est vraiment l’exemple type d’un enseignement exigeant qui remplit, pour moi, une mission de service public d’éducation absolument capitale, tout en s’adressant à tous. »



La classe préparatoire littéraire, c’est en effet avant tout la possibilité d’accéder gratuitement à des enseignements de grande qualité, tout en étant entouré par une équipe pédagogique très investie, et particulièrement dans les classes préparatoires de province.

Lycée Faidherbe © Judith Zylberberg

Mais passionnant intellectuellement



Si la prépa est souvent vue comme un environnement compétitif, nombreux sont les étudiants ayant une expérience positive de ces deux années intenses. « À titre personnel, et je ne sais pas dans quelle mesure c’est une exception, la prépa a plutôt été une libération par rapport au lycée. Les cours et la richesse de ce qu’on apprend ont vraiment réussi à me stimuler, et ça a aussi joué de façon très positive sur ma santé mentale. » souligne Apolline, une étudiante en spécialité théâtre. 



A la question « Considères-tu en général que les étudiants de prépa sont heureux ? », un ancien élève de Faidherbe ayant intégré l’Ecole Normale Supérieure d’Ulm répond : « Alors, on se rend globalement compte que c’est nuancé. La prépa demande beaucoup d’effort physique et mental, on n’a pas beaucoup de temps pour faire des choses bénéfiques à notre santé comme sortir, aller au ciné, faire du sport. L’épanouissement, sur ces plans-là, n’est pas terrible. En revanche, sur le plan scolaire et académique, c’est très épanouissant. » Il parle également du « syndrome post-prépa » qui fait maintenant partie du langage courant des anciens khâgneux : « On n’en parle pas assez. C’est le passage de la prépa à ailleurs, que ce soit à l’ENS où n’importe où, que l’on s’y soit plu ou pas, a fortiori si on s’est plu. La prépa est un moment d’encadrement, où l’on n'a pas de question à se poser vis-à-vis du projet professionnel, on vit dans une certaine insouciance. Passer à ce qu’il y a après la prépa, c’est une grande liberté qui peut être dure à assumer, qui intervient à un moment où l’on ne fait que peu de choix. On peut potentiellement subir la désillusion de ce que l’on projetait sur l’école ou la faculté. On a souvent le sentiment d’être désœuvré, de ne pas savoir quoi faire, de ne pas avoir de but, de ne pas être épanoui, de ne pas réussir à s’adapter à un rythme différent, on a une certaine difficulté à définir ses propres buts. Cela arrive selon moi le premier semestre, pendant 3 à 4 mois. C’est peut être aussi dû à quelque chose de beaucoup plus trivial, les gens sont fatigués, n’ont envie de rien faire, et sont dans un état désagréable. C’est un mélange de plein d’énergies différentes, un moment de flottement pour une bonne partie des gens. »



Il est évident que si l’on passait entre les rangs serrés des tables individuelles de la salle des Lumières pendant l’un des concours blancs de khâgne, on ne verrait que des visages crispés, des mains qui virevoltent sur le papier, le noircissent. On sentirait les brumes de café qui s’échappent des thermos, on entendrait le bruissement d’un pantalon de velours, le tapage étouffé d’une chaussure anxieuse sur le sol. On verrait la prépa dans ce qu’elle a de plus trivial et de plus exigeant. On étudierait les révoltes étudiantes par le biais du petit bout de feuille du sujet d’histoire. Les manifestations qui traversent la France demeureraient à contrecœur un bruit de fond. Mais si l’on ouvrait les portes de la salle des conférences, le jour du khâgnaval (carnaval des khâgneux), on verrait une foule multicolore et bruyante, qui chante Les Corons à tue-tête, prête à se mobiliser. Ça résonne quand mieux parmi les briques de Faidherbe que dans la cour d’honneur de Louis le Grand.




Plus encore que la simple expérience, déjà gratifiante en elle-même, de deux années de réflexion, d’émulation intellectuelle constante, la prépa littéraire de Faidherbe est un levier permettant d’appréhender de manière pluridisciplinaire des questionnements de notre monde. Elle permet d’accéder, gratuitement, à un enseignement de haute qualité. Bien que ce soit un enseignement particulièrement chronophage, elle est une expérience riche, qui (ENS ou pas) te portera loin. 







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