Le basket dans la communauté afro américaine, entre affirmation identitaire et facteur d’intégration

Michael Jordan, Kobe Bryant, Lebron James… Des noms qui vous sont sûrement familiers, des légendes du basket américain et plus largement mondial. Hormis leur talent et leur passion pour le basket, ces joueurs partagent une autre caractéristique : avant le 31 octobre 1950, ils n’auraient jamais pu jouer sur les terrains de NBA (National Basket Association). En effet, c’est seulement le 21 octobre 1950 que le premier joueur noir américain, Earl Lloyd, entre sur le terrain lors d’un match de NBA. En quelques années les basketteurs noirs américains sont devenus la norme dans les clubs américains, plus de 70% des joueurs de NBA étant d’origine afro-américaine.

Pourquoi les basketteurs afro-américains ont-ils si fortement marqué l’histoire de la NBA ? Une des réponses peut être trouvée dans la culture basket de la communauté afro-américaine.


Les afro américains sont considérés comme des citoyens de seconde zone, relégués au fond du bus, séparés à l’école, dans les restaurants, jusqu’aux toilettes. Séparés mais égaux selon le fameux arrêt Plessy vs Ferguson ! Le sport devient alors un moyen pour se dépenser, pour se rassembler avec ses amis, pour discuter et s’exprimer. Le basket, qui nécessite peu de matériel, devient très populaire.Pas besoin de grands terrains enherbés, une petite place bétonnée, et un panier accroché précairement suffisent.


Pourquoi les basketteurs afro-américains ont-ils si fortement marqué l’histoire de la NBA ? Une des réponses peut être trouvée dans la culture basket de la communauté afro-américaine.

Par sa capacité à rassembler, et sa popularité, le basket devient rapidement un enjeu politique important dans la communauté noire américaine. Des sportifs comme Jack Johnson ou Mohamed Ali ont montré une certaine idée de l’émancipation par le sport. De plus, les “valeurs du sport" sont de plus en plus popularisées, notamment par le Baron Pierre de Coubertin et ses Jeux Olympiques modernes. Ces valeurs prônent une égalité face aux règles, seul le talent et le travail peuvent permettre de gagner, blancs et noirs sont alors égaux. Le rêve est beau mais sont-ils vraiment égaux alors qu’ils ne peuvent pas jouer sur les mêmes terrains, ni dans les mêmes clubs ?

Entre basket et jazz, le début d”une identité afro américaine dans les salles de bal

Edwin Enderson, Crédit photo : Washington post, Courtesy of The Black Fives Foundation

Le sport est aussi un excellent vecteur d’une identité commune, le basket devient alors ce symbole de la jeunesse afro-américaine. Un homme joue alors un rôle important : Edwin Henderson, surnommé “the Father of the black basketball”. Edwin Henderson était un professeur de sport noir américain, il fait découvir le basket aux étudiants des écoles afro américaines de Washington et permet le développement de compétitions entre les univesités réservées aux noirs américains. Edwin Henderson est aussi une icône du mouvement pour les droits civiques des noirs américains, se battant pour la création de compétition inter communautaires. Il fut le professeur et influença de nombreuses personnalités comme Duke Ellington ou Charles Drew.


Le basket afro américain est donc né sur les parquets des salles de balles. Les équipes partageaient la salle avec les groupes de jazz qui se produisaient avant le match et à la mi temps. La culture du basket afro américain était née. L’équipe la plus connue à l’époque était les “Blacks five”, qui dominait par son style de jeu la compétition entre les équipes afro-américaines. L’équipe est renommée quelques années plus tard les Harlem Globetrotters. Ne vous méprenez pas, les Harlem globetrotters sont originaires de Chicago. En renommant son équipe ainsi, le coach veut surfer sur la vague du mouvement de la renaissance de Harlem. Ce mouvement place le quartier new-yorkais au centre du renouveau de la culture afro-américaine durant l’entre deux guerres. Les Harlem globetrotters sont renommés pour leur style de jeu particulier, un jeu rapide multipliant les passes et les sauts. Ainsi le basket et le jazz participent à la création d’un nouveau rapport au corps dans la culture noire américaine.


Les premiers matchs amateurs entre équipes “blanches” et “noires” sont alors organisés. Ces rencontres mobilisent toute la communauté afro-américaine, une mobilisation renforcée par les nombreuses victoires. Et notamment les victoires dans les championnats universitaires des écoles “noires” sur les écoles “blanches”. Ces victoires ont un retentissement important, notamment après l’arrêt Brown vs Board of Education en 1954, dans lequel la Cour suprême des Etats Unis abolit la ségrégation scolaire.

Equipe des Black five Crédit image : cityroom.blogs.nytimes.com via Black Fives Inc.


Lorsqu’une identité culturelle devient arme politique


Le 1er septembre 1955, dans un bus de Montgomery, Rosa Parks refuse de céder son siège pour laisser sa place à un homme blanc. Cet évènement qui choque l’ensemble de la communauté afro-américaine sera l’avènement du Mouvement pour les droits civiques. Le basket-ball joue un rôle primordial dans la construction de ce mouvement. En effet, le basket devient un moyen d’expression, les jeunes afro américains s’approprient l’idée d’un “style noir” pour affirmer leur identité. Ce style se définit par un nouveau vocabulaire, une nouvelle mode vestimentaire… Le sport devient alors un outil politique pour la communauté afro-américaine. Le poing ganté et levé de Tommie Smith et John Carlos est loin de l’idéal du sport apolitique de Jesse Owens.


La communauté afro-américaine se construit et se co-construit dans des lieux spécifiques. Les terrains de sports jouent alors un rôle principal. C’est ce qu’avait compris Holcombe Rucker. Il crée en 1950 un tournoi dans le quartier d’Harlem. Le “tournoi de Rucker” suit le credo “Each one, teach one”, chaque personne apprend ce qu’il sait à une autre personne. Ce terrain devient un lieu mythique de la culture afro-américaine, il faut alors arriver à trois heures du matin pour avoir une bonne place pour assister au tournoi.


C’est à la même période que la ligue professionnelle, la NBA, accepte la participation des joueurs afro américains. La forte médiatisation de cette ligue va diffuser cette culture du “jeu noir”. Selon les médias, deux styles de jeu s’affrontent, voire plus loin que deux styles de jeu. Deux cultures sportives, s’étant construites parallèlement dans le même pays. Un “jeu blanc” décrit comme scolaire, les joueurs suivent des tactiques de jeu mises en place. Face à un “jeu noir” définit par l’expression “out of the textbook”. Ces différentes descriptions continuent de véhiculer de nombreux clichés, les joueurs noirs étant plus instinctifs, naturels… alors que les “joueurs blancs” seraient plus dans la réflexion, la culture, les acquis… Peu à peu ce “jeu noir” gagne en popularité devient de plus populaire, de par son côté spectaculaire, mais aussi par son efficacité. Il est ainsi peu à peu adopté par de nombreux coachs. Il perd ainsi son statut de “jeu noir” pour devenir le “jeu américain”. C’est ainsi ce style de jeu spectaculaire, rapide, presque volant, qui fait le succès de la NBA à l’international. Il devient aussi le symbole de l’équipe nationale, surnommée la “Dream Team” lors de jeux olympiques de Barcelone en 1992.

Dream Team, 1992, Crédit photo : Andrew D. Bernstein

La culture du basket-ball aux Etats Unis est ainsi fortement liée à la communauté afro-américaine. Cet héritage culturel et sportif est célébré tous les ans par toutes les équipes de NBA lors du Martin Luther King Day le 18 janvier.


Sources :

Nicolas Martin-Breteau, « Un « sport noir » ? », Transatlantica [En ligne], 2 | 2011, mis en ligne le 17 juin 2012, consulté le 07 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/5469, DOI : https://doi.org/10.4000/transatlantica.5469

Ouest France “NBA. Ce que le basket doit aux Noir s, le Martin Luther King Day est l’occasion de le rappeler”, 2015 https://www.ouest-france.fr/sport/basket/nba/nba-ce-que-le-basket-doit-aux-noirs-le-martin-luther-king-day-est-la-pour-le-rappeler-7121758

Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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