TRIBUNE : L’occupation de la Sorbonne vue de l’intérieur
Contrecoup de l’occupation
Le 13 Avril en début d’après-midi, une centaine de militant.e.s ont réussi à occuper La Sorbonne avant que des centaines d’autres jeunes les rejoignent en début de soirée. Cette mobilisation avait pour but de contester le choix imposé par le deuxième tour de la présidentielle. C’est de là qu’est né à nouveau le slogan Ni Macron, Ni Le Pen.
Pour rappel, 34% des jeunes français.e.s ont voté utile à gauche au premier tour afin de faire barrage au fascisme de Le Pen et Zemmour mais aussi à l’ultra-libéralisme notamment écocidaire et sécuritaire de Macron.
Dans l’esprit des militant.e.s présent.e.s le soir du 13 Avril, la Sorbonne devait être occupée ouvertement pour permettre les passages de chacun.e. Cette décision prise au plus fort de la première Assemblée Générale s’appuyait sur l’argument principal que les travailleur.euse.s, les sans papiers et les SDF puissent entrer dans l’établissement et participer à la lutte. S’en suivit alors une nuit d’occupation durant laquelle la plupart des ancien.ne.s militant.e.s en ont profité pour partir une fois l’enthousiasme dissipé. Au réveil, les occupant.e.s ont découvert que la Sorbonne était toujours à elle.eux et que la police n'était pas intervenue. Un fantasme d'occupation qui s’évanouira lentement, heure par heure, jusqu’à l’exclusion totale des occupant.e.s le soir du 14 Avril.
Il ne faut pas oublier la détresse de la jeunesse et le sentiment d’urgence auquel elle fait face depuis des années.
Au sein des occupant.e.s, peu de militant.e.s avaient déjà occupé un établissement. Celui de la Sorbonne était d’autant plus impressionnant qu’il est un monument symbolique de l’enseignement supérieur élitiste auquel beaucoup n’ont jamais eu accès. Les graffitis des premières heures ont choqué plusieurs internautes sur les réseaux sociaux, mais il ne faut pas oublier la détresse de la jeunesse et le sentiment d’urgence auquel elle fait face depuis des années.
Comme le prouve pour la deuxième fois le résultat du second tour, les français.e.s ont la mémoire courte. Pourtant plusieurs faits clés pourraient facilement aider à mieux comprendre. Depuis 2017 , 7 490 postes de professeur.e.s ont été supprimés. En 2018, les contrats aidés des surveillant.e.s d’établissements scolaires, des personnels du nettoyage et des cantinier.e.s ont aussi été supprimés du jour au lendemain. Puis l’arrivée de Parcoursup en 2018 a poussé des milliers de lycéen.e.s à se mobiliser durant plusieurs mois contre un nouveau système de sélection à l’université. Cette même année, la police s’était montrée de moins en moins docile avec les mineurs comme l’a notamment prouvé la fameuse vidéo de Mantes-La-Jolie.
“Ça c’est une classe qui se tient sage”, du moins jusqu’à ce qu’elle atteigne l’université. Les enfants Parcoursup ont attendu leur tour en prenant des notes de la vague d’occupations de 2018, ou plus récemment de Nanterre par les “sans-fac”. Seulement, l’engagement ne s’apprend pas aussi facilement. Si plusieurs personnes présentes le 14 Avril s’étaient déjà mobilisés dans leurs lycées par le passé, elles n’ont pas pour autant connu les complexités organisationnelles d’une réelle occupation de fac. Sans instructeur.ice tous.tes. parti.e.s pendant la nuit en pensant que le plus dur avait été accompli, les occupant.e.s restant.e.s ont lentement cédé à la panique.
Malgré les soutiens de l'extérieur, un grand sentiment de frustration a fini par gagner l’intérieur.
Malgré les soutiens de l'extérieur, un grand sentiment de frustration a fini par gagner l’intérieur. Il ne restait plus qu’une centaine de personnes bloquées dans la Sorbonne, tandis que les camarades tentaient de faire tomber les barrages de l’autre côté. Car si la police ne faisait plus entrer personne, elle ne s’ouvrirait pas non plus pour que les occupant.e.s sortent.
S'ensuivit alors une tentative d’ouverture de la part des occupant.e.s, qui diminua de la moitié le nombre de personnes cette fois-ci officiellement bloquées par la gendarmerie.
Vers 19 heures, il ne restait plus que 50 jeunes que les autorités avaient forcé de leurs gazs lacrymo à reculer dans la Sorbonne. Après 30 minutes de suffocation, de toux intense, de pleurs, de crises d'asthme et d’angoisse pour certain.e.s, les occupant.e.s ont choisi de négocier leur sortie avec la police. L’habituel contrôle d’identité en cas d’évacuation a été demandé mais aussi l’enregistrement vidéo des visages. Pendant ce temps, une personne souffrant d’une maladie chronique avait besoin d’être évacuée d’urgence, et la nuit commençait à tomber.
Pour toujours sur Internet, cette vidéo sera pour certain.e.s un acte de courage et pour d’autres une humiliation de ce que l’occupation de Paris 1 est devenue en à peine 48 heures.
C’est dans ce contexte que la vidéo des 50 occupant.e.s restant.e.s de la Sorbonne a été publiée et diffusée sur Twitter et Instagram. Visages baissés et cagoulés, une voix s’élève pour demander l’évacuation sans contrôle et prouver le pacifisme des personnes bloquées. Les membres les plus « violents » du mouvement d'occupation étaient sorti.e.s depuis bien longtemps au moment où la vidéo a été médiatisée, et cela accompagne le désarroi des occupant.e.s novices resté.e.s jusqu’au bout. Pour toujours sur Internet, cette vidéo sera pour certain.e.s un acte de courage et pour d’autres une humiliation de ce que l’occupation de Paris 1 est devenue en à peine 48 heures.
C’est aux alentours de 22 heures 30 que les dernières personnes présentes dans la Sorbonne sont sorties. Évacué dans le calme par la gendarmerie, le groupe a été contrôlé et sûrement filmé par les caméras des autorités mais personne ne s’est fait embarquer par le camion de la gendarmerie posté devant les portes de la Rue Cujas, comme une ultime intimidation de la part des forces de l’ordre. De l’autre côté du trottoir, plusieurs militant.e.s s’étaient rassemblé.e.s pour apporter leurs soutiens aux dernier.e.s évacué.e.s, mais il était trop tard.
Surement désabusé.e.s par un quinquennat de violences policières et de répression sociale et économique, les occupant.e.s expérimenté.e.s manquaient à l’appel dès le début. La lutte est tout autant excitante qu’elle est déprimante, qu’elle pousse des gens au suicide et à fermer la porte du militantisme.
Seulement, nous avions besoin de vous. Les nouvelles.aux avaient besoin de vous.
Appeler les plus jeunes à se mobiliser est une chose, les laisser seul.e.s dans la Sorbonne mère en est une autre. En ces temps d’entre-deux tours, d’urgence climatique et sociale, il est nécessaire dans notre mouvement de se serrer les coudes entre les ancien.ne.s camarades et les nouvelles.aux copain.ines.
Merci tout de même aux ami.e.s de l’intérieur et de l’extérieur, aux médias qui nous ont défendu ainsi qu’aux personnalités publiques qui ont pris parti. Occuper Paris 1 ça n’est pas rien, faisons maintenant en sorte que la voix de la jeunesse de gauche continue de se faire entendre.