Une vie en bleu: le Grand Chelem tant attendu
Ils l’ont fait ! Les Bleus ont remporté le tournoi des VI Nations en faisant le Grand Chelem, ils ont gagné tous leurs matchs ! Samedi soir, l'équipe de France affrontait le XV de la Rose. Les français étaient les grands favoris de ce match. Après avoir battu les Écossais 17 à 36 à Murrayfield (Écosse), après avoir battu les Gallois à Cardiff, ils étaient encore invaincu dans le Tournoi.
En face, une équipe anglaise en plein doute; ils ont perdu en Écosse, ont pris le carton rouge le plus rapide de l’histoire du Tournoi face aux Irlandais la semaine précédente. Malgré cela, le coach anglais Eddie Jones avait confiance, il annonçait avant le match « Nous aurons une bonne victoire contre la France », il assurait aussi que son plan de jeu était de « réduire au silence Antoine Dupont [demi de mêlée français et meilleur joueur du monde] ».
Si les joueurs et le staff du XV de France se permettaient de parler de Grand Chelem, les supporters n’étaient pas tout à fait sereins. En effet, depuis 12 ans, les amoureux du jeu en ont connu ces matchs où sous pression les joueurs perdaient leurs moyens et passaient à côté de matchs où la défaite semblait impossible sur le papier.
Mais cette nouvelle équipe de France ne semble jamais être sous pression. Jamais elle n’a été mise en danger par l’équipe anglaise. Antoine Dupont ayant même l’audace d’aller marquer un essai, d’être le plus grand plaqueur du match et donc d’être logiquement désigné Homme du match !
La fin des "défaites encourageantes”
Cela faisait 12 ans que nous attendions cette victoire lors du tournoi ! Après être tombé à la 2e place deux ans de suite. Après avoir vaincu les Wallabies en Australie, première victoire en Australie depuis 1990. Après avoir battu les All Blacks cet automne dans un Stade de France déchaîné. Il ne manquait à ces Bleus qu’un trophée pour les récompenser de faire exploser les records d’audience de France 2 à chaque match en éblouissant le monde entier de leur “French flair”.
La France entière semble vibrer avec ce XV de France. Mais pourquoi autant d’engouement pour cette équipe nationale de rugby masculin ? C’est peut être la question la plus simple et la plus complexe que nous pose ce XV de France. Je serais tentée de développer sur des dizaines de lignes pourquoi les journalistes sportifs sont dithyrambiques sur cette équipe, mais la réponse la plus simple reste cependant : parce qu’ils gagnent.
Il est vrai que les plus vieux supporters de rugby qui après avoir vibré avec les vices champions du monde en 2011 (les français avaient alors perdu 8-7 face aux All Blacks en Nouvelle-Zélande) se sont petit à petit habitués aux défaites rageantes, encourageantes, et aux victoires chanceuses.
Alors que la France enchaîne les victoires, comme si perdre n’était plus une option, alors que le monde entier nous envie le meilleur joueur du monde : Antoine Dupont, ce temps semble résolu. Aujourd’hui le rugby français est tourné vers l’avenir et vers la coupe du monde 2023 qui se déroulera en France.
Pourquoi la victoire à l’automne dernier contre la meilleure équipe du monde 40 à 25 cela semble moins importante que le tournoi des VI Nations ?
Peut-être parce que l’Irlande avait battu la semaine précédente ces mêmes All Blacks. Peut-être parce que chacun avait conscience de la fatigue des joueurs néo-zélandais après un an sans compétitions internationales. Mais peut-être aussi parce que l’histoire du tournoi des VI Nations fait de cette compétition un tournoi à la saveur si particulière.
Un Tournoi ancré dans l’Histoire
Le Tournoi des VI Nations n’existe que depuis 2000. Historiquement le tournoi était composé des seules quatre nations britanniques, auxquelles s'ajoutent la France en 1910 et l’Italie en 2000.
Le Home Nations Championship est créé en 1882, il réunit d’abord seulement l’Angleterre et le Pays de Galles, puis l’Irlande et l’Écosse un an après. 28 ans plus tard, la France est admise dans le tournoi. Quatre ans après le premier match France-Angleterre, le 22 mars 1906, qui inaugure le premier « Crunch » de l’histoire.
Si la France a perdu ce premier match international, et perd de nombreux crunchs dans les années suivantes, ce match gagne rapidement sa saveur particulière.
La France est expulsée du Tournoi en 1936 car les joueurs étaient considérés comme trop violents et que les Nations anglo saxonnes n'acceptaient pas la professionnalisation croissante de l’équipe de France. Elle sera de nouveau admise en 1947, alors que l’Europe cherchait à rapprocher les peuples pour que l’horreur de la Seconde Guerre mondiale ne puisse se reproduire.
Comprendre l’engouement du tournoi des VI Nations c’est peut être se plonger dans ces tensions historiques entre les Nations, dont les matchs se font les métaphores. En France, la plus grande confrontation est bien celle face aux Anglais, qui a été surnommée le « Crunch ». Mais elle n’est pas la seule, et le Tournoi regorge de tensions, mais aussi d’anecdotes historiques passionnantes.
Angleterre-Ecosse, une rivalité aussi sur le terrain
Une des première confrontation est bien celle Écosse-Angleterre – oui,l’Angleterre est l’ennemie de beaucoup de nations dans cette histoire.
Si nous nous intéressons d’abord à la Nation la plus au Nord : l’Écosse, son histoire est celle d’une résistance et d’un combat pour son indépendance. Pendant l' Antiquité, l’Écosse n’a jamais été colonisée par les romains ; ces derniers sont contraints de s’arrêter au fameux mur d’Hadrien.
Plus tard, les rivalités avec l’Angleterre ont façonné l’histoire écossaise. Avec les guerres de religions entre catholiques et anglicans, l’assassinat de la reine écossaise Marie Stuart par la reine d’Angleterre Élisabeth I, les révoltes jacobites, révoltes des catholiques irlandais et écossais pour remettre sur le trône le roi catholique Jacques Stuart VI d’Écosse et II d’Angleterre. Ces révoltes sont étouffées dans le sang par les Anglais qui interdisent tous signes culturels écossais.
Nombreux sont les évènements historiques ayant nourri les tensions entre les deux Nations. De plus, les volontés indépendantistes écossaises, dans l’actualité depuis quelques années après le référendum sur l’indépendance en Écosse et le Brexit, ne datent pas d’hier. Dès le XIIIe siècle les Écossais ont combattu pour leur indépendance, avec à la tête de leur armée des héros comme William Wallace et Robert Bruce. Ils ont tous les deux emmenés l’armée écossaise à la victoire face aux Anglais.
Le trophée mis en jeu tous les ans entre l’Écosse et l’Angleterre, qui est aussi le plus vieux trophée mis en jeu entre deux Nations, rappelle que cette entente est une victoire, plus grande que celle de n’importe quelle équipe sur un terrain de rugby.
L’Histoire rugbystique des Irlandais est aussi passionnante. En effet l’équipe de rugby n’est pas l’équipe de la République d’Irlande mais bien celle de l’île irlandaise, donc une alliance entre la République d’Irlande et la province d’Irlande du Nord. Cette alliance est illustrée par le choix de l’hymne de l’équipe de rugby, qui ne peut être celui de la République irlandaise, et sur l’absence de tout drapeau irlandais lors des matchs de rugby.
Le “Crunch”, ou le seul moment où détester les Anglais est autorisé
Venons-en maintenant à la confrontation la plus mythique, aussi spéciale qu’un « Clasico » pour les supporters de foot, le « Crunch ». Le surnom est finalement tardif, c’est en 1981 qu’il naît dans les colonnes du journal irlandais l’Irish Time. En anglais le mot « crunch » signifie « le moment crucial », il définit alors le match entre les deux plus grandes équipes du Tournoi, alors la France et l’Angleterre. Le nom « Crunch » est resté pour surnommer la rencontre franco-anglaise, voir la rencontre entre les « Rosbeefs » et les « Froggies » selon les quolibets nés au fil des ans et des oppositions.
Pourquoi ce match est devenu un rendez-vous spécial pour les supporters français et anglais mais aussi pour les fans de rugby en général ? Parce que l’histoire franco-anglais est jalonnée de confrontations, de la Guerre de 100 ans aux tensions impériales en passant par les conquêtes napoléoniennes, les événements historiques ne manquent pas. Cette histoire, au même titre que celle entre l’Ecosse et l’Angleterre, est mobilisée pour encourager les joueurs sur le terrain.
Dès l’hymne anglais « God save the Queen », les confrontations naissent. En effet, l’hymne anglais est né lors de l’opération de la fistule annale de Louis XIV, la chanson a été écrite pour célébrer la guérison du roi. Mais les anecdotes ne manquent pas. A titre d’exemple Benoît Dauga, joueur de l’équipe de France dans les années 60, avait été surnommé Grand Ferré en hommage à un paysan ayant tué de nombreux anglais en 1358.
De plus, cette opposition est celle qui oppose au mieux deux styles de rugby : celui organisé et méticuleux des anglais et celui des français surnommé le « French flair » un jeu moins organisé, plus rapide, en utilisant plus de passes. En somme, les gentlemen anglais face aux « animaux français », selon les mots du talonneur anglais Brian Moore.
Ces rendez-vous sont toujours très spéciaux. Des rendez-vous dans lesquels les joueurs se transforment, selon le grand Jonny Wilkinson lui-même « Les crunchs ont ne joue plus, c’est du sérieux », et malgré sa nationalité, on ne le contredira pas.
Pour Bernard Laporte, président de la Fédération française de rugby « Quand on affronte l’Angleterre, le rugby devient un sport de combat avant d’être un sport de balle ». Cependant, si ces matchs sont si disputés, c’est avant tout parce que les deux équipes ont l’une envers l’autre un grand respect rugbystique. Deux styles différents, mais deux grandes nations du rugby, et pourquoi pas les deux plus grandes nations de l’hémisphère Nord.
Les Anglais diront qu’ils sont meilleurs que la France, étant la seule équipe du Nord à avoir remporté un titre de champion du monde (2003). Les Français répondront que l’avenir est encore à écrire, avec la coupe du monde 2023 en France, et un XV de France qui enflamme, qui fait rêver, mais qui donne surtout le droit d’espérer.