Pourquoi signer un tableau?
La signature, si discrète soit-elle, est souvent primordiale dans la composition d’une œuvre d’art. Elle atteste du travail d'un artiste tout autant qu’elle lui reconnaît la propriété initiale de l'œuvre, sa création, et par conséquent le mérite qu’elle lui suscite. La signature comme marque d’authenticité d’une œuvre en révèle beaucoup sur la personnalité de l’artiste; modestie ou opulence, discrétion ou orgueil, académisme ou transgression des codes, et suggère les ambitions initiales de l’artiste quant à la création de l’œuvre en question.
Une composition artistique est pensée selon ce qu’elle doit amener le spectateur à voir. Elle est construite dans le but de guider son regard, amateur ou non, à travers l'œuvre afin qu’il puisse espérer en saisir le sujet, les enjeux, les détails, la finalité. L’artiste a pour ce faire recours à divers procédés à l’origine de différents effets visuels.
L’autoportrait est une forme de signature, plus subtile que la graphie, mais pas moins impactante. Nous remarquerons d’ailleurs qu’un autoportrait est rarement signé graphiquement. Ce genre d’art visuel a en effet souvent été utilisé pour remplacer la signature graphique par des artistes qui n’étaient à l’époque pas jugés légitimes du statut d’artiste, à la manière des artisans médiévaux, simples exécuteurs de commandes. Car la signature a historiquement été réservée aux vrais artistes, les “amateurs” n’en étant alors pas jugés dignes. Ces amateurs n'étaient autres que les femmes, à l’époque où celles-ci se voyaient interdire l’accès à tout type de formation artistique, jugées indignes de cet enseignement.
Clara Peeters, artiste flamande de grande renommée et aujourd'hui reconnue pour ses natures mortes, a employé l’un de ces ingénieux moyens permettant à une femme de revendiquer non seulement son statut d’autrice d’une œuvre, mais également celui d’artiste à part entière. En effet, ses natures mortes cachaient des détails inédits, détails qui n'en sont finalement pas, puisqu’ils constituent, à eux seuls, tout l'intérêt de son travail : ses natures mortes étant en réalité des autoportraits, si subtils soient-ils. Ses toiles dissimulent dans leur composition, dans le reflet d’une coupe en or ou d’une carafe en étain, le visage de l’artiste, représenté parfois jusqu’à une dizaine de fois dans un seul et même tableau. Cette abondance de signatures non graphiques atteste non seulement de l’identité de l’artiste, qui s’approprie organiquement son oeuvre, mais est d’autant plus fascinante qu’elle représente l’artiste au travail : Peeters en train de peindre, à la façon d’un artiste qui prendrait le reflet que lui renvoie son miroir, ce qui convoque au tableau davantage de valeur encore, et, avant tout, un caractère unique. Et c’est bien de cette unicité que la signature tire toute sa puissance et son mystique.
L’omnipotence de la signature peut être illustrée plus clairement par le biais d’une histoire à caractère anecdotique. Ainsi, lorsque Pablo Picasso se rendait au restaurant, il lui arrivait qu’on lui demande de payer son repas avec son simple talent, en dessinant sur la nappe qui lui avait servi lors de son dîner. Peu importait ce qu’il choisissait de représenter; l’essentiel étant que cela vienne de lui. Un serveur lui aurait une fois prié de signer son dessin; Picasso aurait alors répondu que son dessin valait son repas, mais que s’il y ajoutait sa signature, il vaudrait le restaurant entier. Autrement dit, son seul nom, écrit de sa propre main sur un morceau de tissu, multipliait la valeur de son œuvre de façon exorbitante. Comment expliquer par ailleurs le fait qu’un livre autographié concentre cent fois plus de valeur qu’un autre identique, mais vierge de signature ?
La signature a cette particularité : elle est simple et rapidement réalisée, mais occupe une place colossale, voire écrasante, dans l’œuvre d’un artiste; et cette place n’est autre que l’expression du « moi », l’image que l’on a de soi, qui trahit nos artistes et révèle bien souvent orgueil et vanité.
Ainsi la signature est une preuve d’authenticité, qui atteste du travail accompli de l’artiste, et qui, peut-être au détriment de l'œuvre elle-même, concentre une valeur artistique et économique complètement décorrélée de la valeur intrinsèque de l'œuvre.