Canada ou la loi de l’apartheid

En juillet 2022, le Pape François se rendait au Canada pour rencontrer les représentants des peuples autochtones : Premières Nations, Inuits, Métis. Une visite aux allures de chemin de pénitence pour le Pape, qui a demandé pardon pour la participation de l’Église catholique dans le génocide culturel orchestré par les pouvoirs coloniaux au Canada. 

Visite papale au Canada, 29 juillet 2022, © Marcher ensemble, pape François Canada 2022, https://www.visitepapale.ca/ 


Cette visite papale, largement médiatisée, souligne l’existence de plus en plus présente d’un dialogue sur les traumatismes coloniaux vécus par les peuples autochtones. En effet, pendant longtemps, le Canada a cherché à occulter son histoire coloniale tragique et meurtrière. Si aujourd’hui le pays cherche à construire et à avancer sur le chemin de la vérité et de la réconciliation, la Loi sur les Indiens, même amendée, continue de poser problème. 


Une loi coloniale, fondement d’un génocide culturel 


Pour rappel, la Loi sur les Indiens est le principal texte légiférant sur la question des peuples autochtones. Promulguée en 1876 et premièrement nommée “Loi sur les sauvages”, elle donne un pouvoir important au Ministère des Affaires Indiennes dans l’administration de la vie de milliers de Premières Nations. Cette loi a pour volonté d’implémenter la politique colonisatrice du pouvoir canadien, soit l’appropriation de la terre et des ressources en dépossédant les peuples autochtones de leurs terres, et in fine faire disparaître les peuples autochtones. À ces fins, la Loi sur les Indiens a pour but de détruire les structures sociales et politiques des Premières Nations afin de les assimiler. Par la hiérarchie qu’elle établit entre les Européens et les Autochtones, la loi remet en cause les traités pré-colonisation entre les nations autochtones et les États européens, des textes qui, s’ils ont pu être compris différemment par les Européens et les Autochtones, symbolisaient une égalité de statut dans la relation Européens-Autochtones. 

Les éléments principaux de la loi :

Détailler la Loi sur les Indiens en entier serait long et fastidieux. Je m’attarderai ainsi uniquement sur les points principaux soulignant la volonté génocidaire de la loi. Celle-ci définit le statut d’Indiens, et donc par extension les conditions administratives pour être défini comme Indien. Le statut d’Indien s’applique seulement aux Premières Nations, soit ni aux Inuits ni aux Métis, les deux autres nations autochtones au Canada. Celui-ci est fortement relié aux réserves mises en place. Ces réserves sont des miettes territoriales réservées aux Indiens ayant le statut et sortir de ce territoire nécessite une autorisation des autorités coloniales. Cette ségrégation territoriale empêche aussi les non Status de résider dans les réserves. Ce dernier point semble moins important, et pourtant il est un des fondements de la destruction des structures sociales autochtones. Pourquoi ? Il faut savoir que les réserves sont pour les autorités coloniales une solution provisoire, et que l’objectif reste l’émancipation forcée des Indiens. Ainsi, les conditions d’attribution du statut d’Indiens sont très restrictives. Se marier avec un homme sans statut, faire des études, devenir médecin, rentrer dans les ordres religieux, sont autant de raisons de perdre son statut, donc d’être interdit de vivre dans sa communauté. 

De nombreuses interdictions culturelles et politiques sont imposées aux Premières Nations, comme l’interdiction de toutes cérémonies ou célébrations culturelles, l’interdiction des langues autochtones, l’interdiction de former des organisations politiques ou encore d’embaucher un avocat pour défendre leurs droits. 

C’est la Loi sur les Indiens qui légifèrera en 1883 sur les pensionnats fédéraux. Les pensionnats sont, pour les autorités autochtones, la mesure la plus efficace pour détruire les structures sociales et assimiler les peuples autochtones. En éloignant les enfants de la “mauvaise influence”  de leurs parents et de leurs communautés, ils les “civilisent”. Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint du ministère des Affaires indiennes, a déclaré en 1920, lors de l’amendement de la Loi sur les Indiens rendant les pensionnats obligatoires.

"Je veux me débarrasser du problème indien. Je ne pense pas que le pays devrait continuellement protéger une catégorie de personnes qui sont capables de se débrouiller seules... Notre objectif est de continuer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus un seul Indien au Canada qui n'ait pas été absorbé dans le corps politique et qu'il n'y ait plus de question indienne, ni de ministère des Affaires indiennes." Une déclaration glaçante qui continue à traumatiser de nombreuses générations.


Dépasser la loi coloniale par des réformes, est-ce possible ?


  À la suite des deux guerres mondiales, les revendications autochtones se sont faites de plus en plus entendre. Alors que les hommes avaient combattu dans l’armée canadienne pour la défense de l’idéal démocratique, les peuples autochtones refusent d’être considérés comme des citoyens mineurs sous la tutelle d’un État meurtrier. De plus, l’Organisation des Nations Unies nouvellement créée soutient les revendications autochtones. Le gouvernement canadien accepte donc de réformer la Loi sur les Indiens. En 1951, de nombreuses dispositions sont abrogées, comme la nécessité d’être en possession d’un laissez-passer pour se déplacer, ou l’interdiction des cérémonies culturelles. En 1960, le droit de vote aux élections fédérales est attribué aux hommes des Premières Nations. 


Malgré les quelques réformes apportées, la loi sur les Indiens reste une loi inégalitaire et une des inspirations pour la mise en place de l’apartheid en Afrique du Sud. En 1969, le Premier Ministre canadien Pierre Elliot Trudeau suggère de supprimer définitivement la Loi sur les Indiens. Le livre Blanc déclare que les politiques implémentées sont discriminatoires envers les Premières Nations et propose de supprimer le statut d’Indiens, d’annuler les traités antérieurs, de morceler les réserves en propriétés privées. Si les rédacteurs du Livre Blanc attendait une réaction positive, ils ont dû être déçus. En effet, les Premières Nations se sont fortement mobilisés pour dénoncer le reniement total de leurs droits territoriaux en tant qu’Autochtones et la dernière tentative d’assimilation des Premières Nations. L’Association des Indiens de l’Alberta publie, en réponse au Livre Blanc, un manifeste surnommé le Livre rouge qui défend les droits Autochtones aux terres, aux services publics et à l’autodétermination. En 1970, le Livre Blanc est abandonné et la Loi sur les Indiens encore en vigueur.

Lawrence Paul Yuxweluptun, An Indian Act Shooting the Indian Act, 1997, © compte Twitter National Gallery of Canada

Et aujourd’hui, où en est-on ?

Depuis 1970, les nombreux combats des communautés des Premières Nations ont permis de réformer la Loi sur les Indiens. La loi constitutionnelle reconnaît les droits ancestraux des peuples autochtones, reconnus par les traités. En 1985, la loi C-31 permet le rétablissement du statut d’Indiens pour les femmes qui se marient à des hommes sans statut. Cela permet aux femmes de garder un lien avec leurs communautés. En 1996, le dernier pensionnat ferme ses portes. Le gouvernement canadien tente petit à petit de réparer les torts commis, c’est dans cette optique que la Commission de Vérité et de Réconciliation est mise en place en 2008. Cette dernière reconnaît le caractère génocidaire des pensionnats indiens en 2015. En 2019, l'enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées rend son rapport Enfin, en 2021, le Canada signe la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. 

Mais est-ce suffisant ? Aujourd’hui, plusieurs communautés autochtones n’ont pas accès à l’eau potable,  80% vivent sous le seuil de pauvreté, et seulement 10% ont un diplôme universitaire (Statistiques Canada). N’oublions pas non plus les traumatismes intergénérationnels comme une source de souffrance considérable. Non, ça ne suffit pas. 

Aujourd’hui, aucun consensus n’est trouvé pour supprimer une loi coloniale sans renier les droits, l’histoire et le statut particulier des Premières Nations. Cette loi continue de rappeler que la législation canadienne  est très proche de celle de l’apartheid en Afrique du Sud.  Une loi, modèle de l’apartheid, continu de rappeler l’histoire coloniale du Canada.


Sources : 

The Canadian Encyclopedia 

Atlas des peuples autochtones du Canada


Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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