Christiania, communauté indépendante de Copenhague : entre mythes et réalité

© Beware Magazine


Alors que l’architecture minimaliste de Copenhague est en vogue, le quartier indépendant de Christiania dans la capitale danoise, dont l’architecture touffue et biscornue contraste avec le reste de la ville, semble avoir perdu son flegme historique et son caractère politique. Si son nom est familier, c’est parce qu’il a pu être l’un des symboles flous des revendications libertaires des années 70, gravitant dans les esprits des touristes qui la visitent comme le temple des hippies et des activistes en fin de lutte.


Pourtant l’histoire de ce quartier et de ses transformations politiques - d’une caserne militaire à une communauté intentionnelle autogérée, puis à une micro nation autorisée - est unique. 

La légende fait de la naissance de Christiania celui d’un groupe de squatteurs anarchistes voulant pouvoir y consommer librement toutes sortes de drogues, tout en suivant les mouvements de paix hippies. 

© Beware Magazine

C’est aussi à sa base un projet politique : celui du journaliste Jacob Ludvigsen, qui annonçait, après la destruction des clôtures qui entouraient un ancien quartier militaire de Copenhague dans son journal « underground » Hovedbladt l’ouverture d’une ville libre à la charte claire : « L'objectif de Christiania est de créer une société autogérée dans laquelle chaque individu se sent responsable du bien-être de la communauté entière. Notre société doit être économiquement autonome et nous ne devons jamais dévier de notre conviction que la misère physique et psychologique peut être évitée. Dans ses débuts, tout était voté par tous, les membres de la communauté agissant comme des représentants d’une démocratie directe. 

© Politken.dk


Le Danemark, pays de la tolérance ? 


La tolérance fait partie de la courtoisie danoise, et semble s’inscrire dans sa construction politique. Cela expliquerait-il le laisser-vivre de la communauté de Christiania, pendant plus de 40 ans, en dehors des lois nationales ? La tolérance régit les relations privées, au sein du couple, de la famille, et le milieu public, en développant des politiques d’ouverture ; et pour cela, le Danemark paraît avoir été précurseur.L'opinion publique favorable peut expliquer sa subsistance entre 1971 et 2013 malgré les nombreuses pétitions, mouvements syndicaux et manifestations des partis conservateurs la considérant comme parasite. La télévision danoise a pris parti de la communauté pendant ses années d’existence, en filmant le mode de vie de ses habitants, en partageant ses initiatives et son organisation politique, montrant son bon fonctionnement, démystifiant l’image d’une communauté hippie.


Les influences de Christiania 


Fristaden Christiania, nom officiel du quartier donné par le groupe fondateur signifie « ville libre de Christiania », titre se voulant performatif de la volonté d’indépendance libertaire qui occupe encore certains esprits habitant les ruelles fleuries de ce quartier central de Copenhague. En sociologie, Christiania peut être qualifiée de « communauté intentionnelle », c’est-à-dire, d’une “communauté qui réunit un ensemble de personnes d’origines diverses ayant choisi de vivre ensemble en un lieu donné et sous une forme organisationnelle et architecturale définie”(Diana Leafe Christian, Vivre autrement : écovillages, communautés et cohabitats).

 “communauté intentionnelle, une communauté qui réunit un ensemble de personnes d’origines diverses ayant choisi de vivre ensemble en un lieu donné et sous une forme organisationnelle et architecturale définie” Diana Leafe Christian

Cette forme de communauté prend base dans la pensée de Charles Fourier, l’un des philosophes français fondateur des pensées socialistes utopistes. Il imagina les phalanstères : ce sont des regroupements architecturaux permettant la vie harmonieuse d’une communauté, appelée « phalange ». Les phalanstères ne sont jamais concrétisés, mais on peut considérer qu’ils sont un élément influent dans la construction de communautés indépendantes, telle Christiania.

« Vue perspective d’un phalanstère. » © Wikipedia


Christiania ne promettait pas sa postérité à sa création : c’était un squat, inscrit dans l’instable, le fugace, et le périssable. Les squats apparaissent un peu partout en Europe dans le sillage des événements de 1968. Ils sont marqués par une utopie communautaire, l’idée de repenser la vie des quartiers et des villes en offrant des espaces culturels alternatifs. Quelque part, le squat est une fin en soi : il constitue une forme de contestation à lui-même par sa capacité à engager totalement les acteurs qui y vivent à défendre ce milieu. Le caractère défensif de Christiania se double d’une existence légale : la communauté est constituée de différentes assemblées organisées ; « Økonomimøde », est le collectif qui gère les ressources de Christiania. Plusieurs autres collectifs exercent diverses activités industrielles, artisanales, et une vie culturelle riche. 

Aujourd’hui, les membres de la communauté vieillissent et avec elle son âme contestataire, même si elle reste la source de projets politiques, notamment écologiques. La moyenne d’âge élevée de Christiania et sa composition internationale est expliquée par la persistance d’un noyau de la communauté issue des mouvances des années 70. Malgré tout, la communauté de Christiania accepte volontiers de nouvelles recrues, et pour cela, il faut montrer patte blanche : avoir adhéré aux principes de la communauté, son esprit, en plus de sa charte. Mais depuis une loi de juin 2013 qui révoque le statut spécial qui tolérait l’indépendance juridique de Christiania sur les lois du Danemark, le quartier n’est surtout connu que comme lieu de curiosité. 

« Autrefois, nous venions dans cette enclave pour sa philosophie alternative. Désormais, les gens ont envie de s’y installer pour son cadre. Peu à peu, l’esprit contestataire s’évapore… », regrette Britta, une habitante de Christiania.

“The open-air drug market known as Pusher Street in Christiania Freetown, a neighborhood in Copenhagen. © Mauricio Lima for The New York Times”


Christiania se visite, c’est même un lieu très prisé par le tourisme international : si le quartier figure sur les guides touristiques de la ville, c’est plutôt comme lieu de consommation que comme lieu de contestation. « Autrefois, nous venions dans cette enclave pour sa philosophie alternative. Désormais, les gens ont envie de s’y installer pour son cadre. Peu à peu, l’esprit contestataire s’évapore… », regrette Britta, une habitante de Christiania. Christiania est retenue aujourd’hui comme étant le point de chute des ventes de cannabis de Copenhague. Au grand dam des gouvernements libéraux et conservateurs qui se sont succédés dans les années 2000 et 2010, et qui souhaitaient voir la fermeture du quartier, Christiania est toujours un lieu communautaire unique, où la tolérance côtoie la drogue ; malgré des négociations entre les représentants de la communauté et le gouvernement, qui ont mené à sa légalisation, la vente de cannabis est toujours réprimée par la police de Copenhague qui arrêtent plusieurs fois par jours des dealers sur Pusher Street, la rue touristique de Christiania. La communauté est aujourd’hui la cause de troubles et de violences. Ainsi, l’existence politique de la ville persiste toujours, notamment dans l’opposition et le cache-cache permanent entre les habitants et les forces de l’ordre. 

 

Sources écrites : 

Cécile Péchu – Les Squats https://www-cairn-info.bsg-ezproxy.univ-paris3.fr/les-squats--9782724611694-page-121.htm 

https://www.courthousenews.com/how-free-is-freetown-christiania-the-sovereign-danish-community-is-once-again-on-its-barricades/ 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Christiania_(Danemark) 

https://www.grazia.fr/lifestyle/voyages/danemark-christiania-la-ville-libre-115605.html#item=1 pour le témoignage de Britta 






Précédent
Précédent

Les attentats du 13 novembre, un traumatisme collectif disséqué sur grand écran

Suivant
Suivant

Canada ou la loi de l’apartheid