Les serial killers : entre fascination et exploitation commerciale

A l’instar de la série Netflix Dahmer – Monstre : L’histoire de Jeffrey Dahmer en octobre 2022, de nombreux débats ont resurgi au sujet de la fascination du public pour les tueurs en série et le rôle de la romantisation des serial killers par les œuvres cinématographiques, littéraires et médiatiques. La plupart du temps dans un objectif proclamé de compréhension des mécanismes psychiques qui sous-tendent l’esprit de ses personnages au travers de leurs histoires, ces productions posent tout de même des problèmes dans les conséquences qu’elles engendrent sur leur public et dans la considération des victimes. Ces problématiques se comprennent davantage dans le cadre de l’intérêt financier que celles-ci apportent aux industries et individus qui les créées. La multiplication de ces œuvres demande donc à analyser le rôle que jouent non seulement leurs auteurs mais aussi le public qui réceptionne favorablement ces récits, par les mécanismes de la fascination au détriment des conséquences terribles qu’ils engendrent.

La mise en scène des tueurs en série : de la multiplication des œuvres de faits divers à la fascination du crime 

Depuis la fin du XXème siècle, les tueurs en série sont au-devant de la scène et rencontrent un succès fulgurant auprès du public. Films, documentaires, articles de presse ou encore bandes dessinées, l’image du serial killers fait l’objet de nombreuses créations artistiques. Un phénomène très présent aux Etats-Unis, qui s’explique notamment par l’appréciation que l’auditoire semble éprouver pour ces histoires effrayantes. En effet, les auteurs ont compris que ce sujet séduisait particulièrement le public, en témoigne l’audience que récoltent les émissions telles que Faîtes entrer l’accusé ou encore Chroniques criminelles, qui encourage davantage la production autour de faits divers. On peut citer à ce titre des films tels que Schizophrénia, sorti en 1983 et inspiré du serial killer autrichien Werner Kniesek ou encore Memories of Murder, un des plus grands films des années 2000, réalisé par Bong Joon Ho et basé sur une série de meurtres inspirée d’un véritable fait divers qui s’est déroulé de 1986 à 1991, et dont le coupable n’a jamais été identifié. De même on retrouve dans cet univers la série récente au grand succès, produite par Netflix et réalisée par Ryan Murphy et Ian Brennan au sujet de Jeffrey Dahmer, basée sur la véritable histoire du « cannibale de Milwaukee » ou encore le livre Un esprit dérangé de Harold Schechter, publié en 2001 et retraçant les meurtres de Albert Fish, tueur en série américain surnommé le « Vampire de Brooklyn ».

Affiche du film Memories of Murder (2003) — ©Allociné

Que ce soit pour faire connaître ces individus ou chercher à comprendre les mécanismes qui les amènent à commettre des crimes, ces œuvres participent le plus souvent à mettre ce type d’histoire au rang de divertissement. Un mécanisme de romantisation qui pose problème, d’autant plus que les protagonistes ne sont pas toujours des personnages fictifs comme le montre les œuvres citées ci-dessus. Ted Bundy est un parfait exemple de ce phénomène de fascination à l’égard des criminels au détriment des crimes commis. Personnage de plusieurs films, documentaires et livres, de nombreux admirateurs lui dédient un véritable culte lors de son procès et ce jusqu’à aujourd’hui, encouragés par la résurgence de son histoire au travers de productions à l’image du documentaire de Netflix Ted Bundy : Autoportrait d’un tueur sorti en 2019.

Photographie d’identité judiciaire de Ted Bundy prise quelques jours après sa troisième condamnation à mort — © Florida Department of Corrections

Cette fascination va jusqu’à sortir des écrans, un problème que prouve le mariage de ce dernier avec Carole Anne Boone, témoin de la défense, lors de son procès pour le meurtre d’une fille de 12 ans, Kimberly Leach, en 1980. Cet évènement n’est d’ailleurs pas isolé, il est courant que des tueurs en série reçoivent à de nombreuses reprises des lettres d’admirateurs, c’est le cas de Richard Ramirez qui reçoit plus de 70 lettres d’une femme depuis sa cellule, qu’il finit d’ailleurs par épouser. Se développe dès lors un dévouement de certains individus qui vont jusqu’à placer ces tueurs en modèles, à l’instar de véritables héros. Cette admiration va même jusqu’à la création d’un marché nommé le murderabilia, spécialisé dans la vente d’objets ayant appartenu à des criminels notamment des serial killers, tels que les peintures à l’huile de John Wayne Gacy, un des tueurs en série américains les plus connus des années 80 et 90. Ainsi ceci prouve bien le phénomène de fascination qui s’est formé autour de ces criminels, un mécanisme influencé par les œuvres qui se font le récit de ces tueries plaçant au premier plan leurs auteurs.

Les ressorts psychiques et sociaux de la fascination autour des tueurs en série

A voir cette admiration autour des tueurs en série, on peut avoir tendance à penser que ce ne sont que des cas rares qui concernent des personnes avec des penchants étranges voire sociopathiques, néanmoins il n’en est rien. Comme l’explique Joseph Agostini, psychologue et coauteur de Tueur en série sur le divan publié en 2021, « Il y a 100 ans, la presse papier racontait déjà des faits divers, qui ont impacté notre conscient et notre inconscient. Ces sujets prenaient déjà beaucoup de place. ». On comprend donc que cette fascination pour les serial killers a toujours existé à travers une sorte de mythologie du crime

Comme l’explique Joseph Agostini, psychologue et coauteur de Tueur en série sur le divan publié en 2021, « Il y a 100 ans, la presse papier racontait déjà des faits divers, qui ont impacté notre conscient et notre inconscient. Ces sujets prenaient déjà beaucoup de place. »

Ce phénomène est d’ailleurs explicable par les mécanismes prenant place au sein du cerveau humain. En effet, si ces œuvres ont autant de succès c’est tout d’abord car elles permettent de donner un sens à ce qui n'en a pas. Comme le fait très bien la série à succès Mindhunter, ces œuvres permettent de faire comprendre les raisons qui poussent ces tueurs à devenir ce qu’ils sont, en tentant d’analyser leurs états d’esprit et leurs processus réflexifs. Un besoin que la plupart des êtres humains ont lorsque ce qu’ils observent relève de l’inconcevable. De même, en tant qu’individus empathiques, cette compréhension permet de justifier les actes du meurtrier, qui se lie dès lors à la sympathie éprouvée par l’humain envers les gens qui souffrent, jusqu’à nourrir l’espoir d’une possible rédemption. Les causes évoquées étant souvent le fait d’une enfance difficile ou de problèmes psychologiques, les actes deviennent ainsi plus concevables aux yeux de ces individus. Au-delà de ça, on trouve également une fascination pour les tueurs qui passe parfois par de l’attirance physique, un phénomène appelé l’hybristophilie, qui se définit par une paraphilie dans laquelle un individu est sexuellement attiré par d’autres ayant commis un crime. Ce problème touche particulièrement les femmes, conditionnées dès l’enfance par une socialisation différenciée et genrée qui en font les responsables des actes d’autres hommes qu’elles ont donc la tâche de réparer. Un mécanisme en lien avec la tendance des tueurs en série à représenter des individus conventionnellement charismatiques et séduisants, caractéristiques qui participent d’ailleurs à charmer leurs victimes mais aussi le public, en témoigne le nombre de tweets qui défendent Ted Bundy et qui sont basés sur son aspect physique.

« Nous avons pensé ce monde et, en tant que bons névrosés, nous sommes toujours dans l’insatisfaction et dans la réflexion, car nous sommes confrontés à nos pulsions, sans fléchir. Le psychopathe va au contraire céder sans culpabilité. Il vit sans pouvoir se reprocher ses actes », explique Joseph Agostini

De même existe aussi une attirance psychique pour ces tueurs, qui sont le miroir des valeurs humaines dans une société bien réglée et qui intriguent un inconscient parfois cruel, secret et avilissant présent chez certains. C’est ce qu’explique Joseph Agostini quand il dit que « Nous avons pensé ce monde et, en tant que bons névrosés, nous sommes toujours dans l’insatisfaction et dans la réflexion, car nous sommes confrontés à nos pulsions, sans fléchir. Le psychopathe va au contraire céder sans culpabilité. Il vit sans pouvoir se reprocher ses actes. ». En ce sens, le tueur en série, par sa liberté à agir selon ses pulsions en dehors des règles, éveille un fort intérêt en réalisant ce que l’être humain ne peut faire. Ainsi à travers les récits de serial killers se développe une sorte d’appréciation malsaine envers celui qui se présente comme un anti-héros à travers lequel les individus ont plus de facilité à se retrouver, étant victime lui-même des maux et de la réalité de la vie.

Le rôle de la production cinématographique, littéraire et médiatique : les problèmes induits par la romantisation des tueurs en série

A la suite de la série Netflix autour de Jeffrey Dahmer, de nombreuses polémiques émergent concernant la romantisation du tueur en série à laquelle participe la plateforme de streaming. On retrouve notamment ces débats sur les réseaux sociaux où une vague de dénonciation déferle au sujet de la fascination que la production fait ressortir en ciblant par exemple le nombre important de personnes qui décident de choisir l’accoutrement de ce dernier en guise de costume d’Halloween. De même, son propre père aurait songé à porter plainte contre Netflix pour la manière dont a été romancé le parcours criminel de son fils. Mais alors, en quoi ces industries jouent-elles un rôle ? En effet, paradoxalement à ce que l’on vient d’évoquer, la série au sujet de Jeffrey Dahmer fait certes de ce tueur en série la star de son programme mais y dénonce également la fascination et la romantisation qui se développent après la médiatisation de l’affaire, tout en révélant le rôle des inégalités sociétales liées au racisme et à l’homophobie de la société américaine des années 70 et 80 d’un point de vue judiciaire. Cependant, bien que ces intentions soient honorables, le programme reste un problème par la conséquence qu’il a sur le public. D’ailleurs pour le documentaire au sujet de Ted Bundy la plateforme de streaming reproche elle-même sur twitter la fascination qu’y trouve son public sans pour autant remettre en question son rôle dans ce phénomène.

« J'ai vu beaucoup de discussions sur la prétendue attirance de Ted Bundy et je voudrais rappeler gentiment à tout le monde qu'il y a littéralement des MILLIERS d'hommes sexy sur le service - dont presque tous ne sont pas des meurtriers en série condamnés » écrit Netflix sur la plateforme Twitter le 28 janvier 2019

En effet, les œuvres au sujet de tueurs en série engendrent une indifférenciation de la limite entre réalité et fiction, un flou qui a diverses conséquences bien dangereuses. Marcel Danesi, professeur de sémiotique, appelle l’une d’elle le « syndrome Dexter », avec des spectateurs qui ne font plus la différence entre les criminels fictifs et réels, étants chacun sujets à des œuvres qui ne se distinguent pas dans la réalisation. Ils se fascinent dès lors pour des personnages cruels qui ont commis des actes bien réels dont ils ne réalisent pas la véritable atrocité et le danger que représente ce type d’individu. Ce mécanisme est le fait de la distance et du contrôle du spectateur sur l’œuvre, influençant la mythologie du crime à l’image des contes pour enfants qui se terminent et ne sont que récits imaginaires ne pouvant donc atteindre le public, on appelle cela « la pensée magique » en psychologie. 

Autre phénomène de cette romantisation c’est la façon passionnante dont est dépeint le tueur en série, qui minimise dès lors leurs crimes, encouragée par la fabrique de héros fantasmés à travers des personnages conventionnellement charismatiques, séduisants et parfois intelligents. Cette représentation est d’ailleurs souvent exagérée vis-à-vis de la réalité du personnage, afin de rendre le récit plus attrayant, de même que dans les films et séries les acteurs qui jouent le rôle du criminel sont minutieusement choisis pour plaire à la majorité du public, par leur beauté et leur élégance. Ce problème est d’ailleurs souligné par Penn Badgley, acteur du personnage principal de You, un récit fictif mais qui se rapproche néanmoins de cette romantisation de l’image du tueur et du problème de fascination qu’elle engendre. Il explique que la plupart de ces tueurs et des représentations qui en sont faites, se placent au « sommet du privilège masculin blanc » dans le fait que la société a tendance à ne pas associer cette image à celle d’un tueur sadique. On voit bien là le rôle des industries qui vont même jusqu’à embellir le récit, contesté souvent par les familles des victimes, c’est le cas pour le film français La Traque basé sur l’histoire de Michel Fourniret sorti en 2021.

Les conséquences néfastes de la romantisation : un risque pour la société et une invisibilisation des victimes

Le rôle que jouent les producteurs de romantisation des réels tueurs en série est lourd de conséquences pour les familles des victimes et plus généralement la société, à commencer par l’image qu’ils nourrissent. Le criminel en question s’accompagnant souvent d’une identité bien définie, cette dernière est renforcée par les œuvres qui narrent son histoire, au profit du protagoniste qui se délecte également de cette attention. En plus de leur être favorable, cela peut les encourager à continuer ou même influencer d’autres admirateurs à faire de même. Il y a également un problème concernant les femmes et le mécanisme d’hybristophilie que certaines développent à vouloir “sauver” des hommes dangereux. Ceci normalise l’acceptation à rester dans une relation abusive par la minimisation de la violence de l’homme. Un grand danger à l’aune d’une société où l’on montre bien que les violences sexistes et sexuelles, qui ont toujours existé, sont en partie présentes dans les relations conjugales.

Un des points les plus importants de cette romantisation des tueurs en série est l’invisibilisation des victimes et de la souffrance causée aux familles qui ont perdu un proche.

Enfin un des points les plus importants de cette romantisation des tueurs en série est l’invisibilisation des victimes et de la souffrance causée aux familles qui ont perdu un proche. En effet, ces œuvres sont souvent réalisées sans l’accord des familles, et mettent en avant l’histoire des tueurs sans pour autant mentionner l’histoire de leurs victimes, comme si elles n’avaient jamais existé. La vie des tueurs semble plus importante que celle des personnes mortes sous leurs coups. Il y a une sorte d’irrespect concernant le deuil des familles qui pour certain ne se remettront jamais de leur perte, comme ci celle-ci nourrissait la création de divertissement. De même cela est encore plus dommageable lorsque l’on sait qu’il est notamment fait au profit du succès commercial de ces œuvres et donc du bénéfice qu’elles dégagent pour leurs producteurs, bénéfice qui ne revient souvent pas aux familles. Leur malheur est ainsi commercialisé et sert des intérêts qui ne sont pas les leurs mais ceux de personnes qui n’ont aucunement souffert de ces désagréments. 

Ainsi il est donc intéressant de se demander si l’on ne devrait pas plutôt produire des œuvres au sujet des victimes, afin de les faire exister, montrer qu’elles ne tombent pas dans l’oubli et que tout cela n’a pas été vain. Aussi concernant le public, ne serait-il pas meilleur de lutter contre la fascination des tueurs en série pour la transformer en considération autour des victimes et des souffrances commises. De nombreuses questions sont donc soulevées par le phénomène de romantisation et cette fascination des tueurs en série, qui peuvent certes mener à débat, mais qu’il convient surtout de ne pas normaliser en occultant qu’elles créent de nombreux dommages collatéraux bien réels. 

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