A la croisée des fascistes

Tiago Rodriguez innove. Les spectateurs en ressortent épris. Tiago Rodriguez

remporte sa première.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, © Pedro Macedo

Tiago Rodrigues s’empare de la fachosphère, les spectateurs en ressortent inchangés.  Arrivé dans une ère où la fachosphère s’enflamme, Tiago Rodrigues conquis la scène au Théâtre des Bouffes du Nord le 8 octobre, lendemain de sa première.  Une épopée à la fois réaliste et extraordinaire où l’être humain se retrouve confronté à l’horreur de sa propre nature.



La mort aux trousses

Être Catarina ou ne pas être Catarina ? Tel est l’enjeu auquel sont confrontés les personnages. Une identité fantomatique, invisible mais invincible qui s’empare de la scène. Le maître des planches portugais écrit un texte poignant où une famille matriarcale portugaise et sectaire doit remplir une mission bien sombre : tuer des fascistes pour honorer Catarina, première victime de féminicide et de violences policières. La mort est accueillie comme une vieille amie avec qui il faut cohabiter. Son épée de Damoclès se tient désormais sur la tête de Sarah.

Tuer ! Tuer un fasciste pour devenir Catarina, voilà le destin qui l’attend. La proie enchaînée à l’arbre, l’arme en main, elle hésite. Ainsi l’être humain devient moral. Vagabondant entre une sœur végane, une mère trop maternelle et un grand-père malade, l’étau se resserre. Tiago Rodrigues livre l’être humain à son paroxysme où moralité et valeurs familiales se confrontent. Un drame familial en huis clos où la mort rôde, insatiable, prisonnière d’une bicoque en bois abritant un vieux chêne centenaire, symbole de cette dystopie familiale. Où commence le fascisme ? La violence conduit-elle à la liberté d’autrui ?

Fil conducteur du texte et de la pièce, Catarina dénoue et renoue les liens entre les personnages prisonniers de cette bicoque charognarde qui se repaît des victimes. Le lieu devient à son tour protagoniste d’une folie qui envahit cette famille sectaire. Entre raison et morale, entre fascisme et révolution, Tiago Rodrigues délivre une intrigue philosophique et morale sur l’être humain.



Catarina, la controverse !

©Jaime Machado

Au lendemain de sa première, le metteur en scène reçoit le soutien inconditionnel d’Isabelle Huppert qui se prélasse devant son miroir en attendant avec impatience l’arrivée des médias. Oh miroir ! mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle sous les projecteurs ce soir ? Pas de réponse. Puni par son silence, il est rangé dans son sac à main. Huppert prend l’escalier pour disparaître parmi la foule. Considéré comme “trop politique” Catarina est bafouée, Huée, interdite de représentation dans certains pays d’Europe. Et pourtant, le nouveau directeur du festival d’Avignon tente d’éviter la controverse en France. Rétablir ses lettres de noblesse dans la cité des Lumières et des Droits de l’Homme, c’est un pari louable mais risqué. Cocorico ! Cocorico ! chantent les spectateurs français bien-pensant, l’ignorance et la bêtise humaine ne les épargnent pas. Dans d’autres représentations, vêtus de leurs crêtes, ils tentent d’arracher la tête du premier ministre d’extrême droite à la fin du spectacle. Au lendemain de la première, pas d’esclandre ! Le carnage est évité de peu. Les langues serpentines rencontrent des difficultés à se retenir, mais aucune tomate lancée ne viendra déranger les comédiens. Vêtus de jupes traditionnelles portugaises, le Fado unit ce cœur antique et familial. La musique est révélatrice des non-dits familiaux. Catarina est parmi nous ! Sarah devient une héroïne tragique, l’Antigone du XXIᵉ siècle s’empare de l’espace scénique. Le spectateur rencontre des difficultés à expier sa catharsis. En faute ? Trop de discours moral. Que feriez-vous si un train devait tuer votre famille ou de parfaits inconnus ? Déjà les pensées des spectateurs anticipent celles de Sarah : « Vous nous prenez pour des idiots ? Bien sûr qu’elle va se jeter elle-même contre le train ! ». Le débat devient alors philosophique où Philippa Foot et Ayn Rand se livrent un combat singulier. Qui triomphera ? L’utilitarisme ou l’objectivisme ? La réponse de Tiago Rodrigues est formelle : aucun des deux. Comme c’est surprenant ! Ainsi, nous contemplons impuissants, encore prisonniers de notre Catharsis, la tragédie grecque se déroule devant nous. Vu, joué , rejoué, convention.

©Filipe Ferreira

Une plaidoirie tombée à l’eau ?

Que la pièce soit en portugais sous-titrée en français soit. Vive la VO ! Mais placé en Corbeille, escalier B, côté cour, voilà que la lecture s’avère difficile. Entre sortir de la représentation avec un torticolis et comprendre un mot sur deux : il faut choisir. Le premier ministre portugais, l'Élite de la fachosphère, devient une cible de proue pour le poète. Le coq peut bien se rhabiller, la France devient le cancre des droits de l’homme avec quatre vingt élus venus tout droit des bas fonds du RN. Les spectateurs, premiers de la classe, se montrent donc très attentifs à l’entrée du Premier ministre. Muet, prisonnier de cette bicoque en bois, neuf pages de monologue lui sont accordées, l’équivalent de vingt minutes de provocation pour les spectateurs. Les gaulois réfractaires serrent les dents, les jeunes conservent une mine patibulaire et laissent échapper un rire jaune. Ce long monologue n’est pas à ignorer et pourtant, la catharsis n’arrive toujours pas ! La provocation ne viendra pas ce soir. Pas de révolution des œillets, pas de Révolution à la française. Le spectateur reste assis dans son siège, prisonnier de ses conventions que le discours politique de Tiago Rodrigues ne parvient pas à libérer. Trop de politique tuerait-il le politique même ? Le fascisme n’est plus une fatalité, désormais trop banalisé, le spectateur est habitué à cette extrême droite désormais normalisée. Tiago Rodrigues cherchait la révolte, il a obtenu la résignation. Le metteur en scène remporte néanmoins sa soirée, pas d’esclandre, pas d’insultes, pas de bataille de Catharina, des exclamations de joies et d’exaltations envahissent les anciens de Mai 68, les jeunes eux en ressortent résignés, habitués par ce discours. Sans doute aurait-il été plus judicieux de susciter davantage la révolte de cette jeunesse, plutôt que d’éveiller les vieux os des anciens de la vieille.

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