Entre Chine confinée et Russie mobilisée : récit d’une expatriée

“Salut Elo, on vient de recevoir une copine qui a dû fuir la Russie il y a trois jours, et qui se retrouve chez nous parce qu'elle n'a pas d'autre endroit où aller. Elle a l'air d'avoir vécu pas mal de choses”

Ce message m'a été envoyé par ma tante sur WhatsApp. C'est le point de départ de ma rencontre avec Ceci Huang, une femme de nationalité chinoise, ayant vécu les cinq dernières années en Russie et arrivée en France seulement quelques jours avant notre entrevue. Nous discutons donc chez mon oncle et ma tante en banlieue parisienne, lors d'un entretien qui a commencé dans la voiture au retour de la gare et s'est terminé deux heures plus tard autour d'un apéritif. Elle a en effet vécu "pas mal de choses" et possède un angle extérieur d'analyse de la vie quotidienne en Russie.

Un parcours transnational

Ceci Huang a 37 ans, est née à Shanghai et y a vécu jusqu'en 2017, année au cours de laquelle elle a déménagé à Moscou grâce à une opportunité professionnelle. Elle est alors contrôleuse de gestion au sein d’une entreprise française de grande distribution. Le visa de travail russe expirant au bout de trois ans, elle prévoyait de retourner en Chine dès 2020. Un obstacle est cependant venu s'y interposer : l'apparition du Covid et le confinement en Chine puis dans le monde entier. Il était donc impossible pour elle de se rendre dans son pays natal, ni même en Europe, confinée à son tour en mars. “Je me posais des questions sur mon futur”, m'explique-t-elle pour décrire cette période d'incertitudes. Ceci décide donc de se rapprocher d'une entreprise chinoise d’e-commerce dans l'espoir de pouvoir dans un second temps rentrer travailler en Chine .

La dégradation progressive de la qualité de vie en Russie

En 2018 la Russie accueillait la Coupe du monde de football, ce qui a favorisé une attitude accueillante des habitants envers les étrangers : “tout le monde souriait”, décrit-elle. Ce climat s'est cependant brusquement dégradé en avril 2022 à cause de l'attaque de l'Ukraine par la Russie ayant eu lieu le 24 février 2022, puis de l'annonce d'une mobilisation des citoyens russes pour aller au front, décrétée par le président Poutine le 21 septembre dernier. Ceci Huang raconte la surprise que représente cette annonce : “Personne ne s'attendait à ce que quelque chose comme ça arrive”.

Le risque de mobilisation touche tous les hommes ayant un passé militaire, ce qui représente la majeure partie de la population étant donnée l'existence d'une service militaire obligatoire en Russie. “J'avais des collègues qui avaient participé aux guerres en Géorgie [2008] ou en Tchétchénie [1999 - 2000] pendant leur entraînement”. L'entourage de Ceci est fermement opposé aux actions militaires de leur pays à l'origine, l'Ukraine fait “partie de la famille”. Les citoyens russes ont cependant commencé à soutenir leur pays à la suite des réactions des Etats-Unis et de leurs alliés, qui leur semblaient démesurées.

Ceci n'a pas le sentiment que son entourage russe ait subi des pénuries de nourriture ou des ruptures d’approvisionnement en gaz. La dégradation de leur qualité de vie est, selon elle, plutôt due à l'isolement prolongé du pays à cause des multiples sanctions occidentales et à la dégradation de l'image internationale de la Russie. Le manque le plus important est le lifestyle (mode de vie) de l'avant-conflit : “les gens ont besoin d'acheter des vêtements, des voitures européennes et de voyager”.

Ceci Huang (© Eloïse BRETHES)

L'anxiété constante et l'émigration de nombre de ses amis vers d'autres pays ont encouragé Ceci à quitter la Russie pour l'Europe, ne pouvant rentrer en Chine qu'après une quarantaine lourde psychologiquement. Elle prévoit tout de même de rentrer en Chine dans un mois. La période de Noël et du Nouvel an aura, selon elle, un effet d'apaisement des tensions qui devrait améliorer les rapports entre la Russie, et l'Europe et les Etats-Unis. “Personnellement, je reste très positive.


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