DECRYPTAGE : Serbie – Kosovo : le conflit qui ne cesse d’embraser les Balkans
Le 24 septembre dernier, le nord du Kosovo a été le théâtre d'un affrontement violent, ravivant les tensions entre Pristina et Belgrade. Pour le Premier ministre kosovar, la Serbie, qui considère la région comme le cœur de sa civilisation, serait dans le coup. Mais pour saisir l'ensemble du conflit, il est nécessaire d’explorer ses racines historiques et les récentes escalades qui menacent la paix des Balkans.
Dimanche 24 septembre 2023, des policiers kosovars sont informés de la présence d'un barrage routier sur la route menant au village de Banjska. Lorsqu'ils arrivent sur place, environ 30 combattants armés jusqu'aux dents les prennent pour cible, tuant l'un des policiers, avant de se retrancher dans un monastère. Par la suite, les deux factions se sont livrées à dix heures d’intenses combats, finalement maîtrisés par l'armée kosovare. Au cours de ces affrontements, trois combattants ont été neutralisés, tandis que les autres ont pris la fuite. Des armes lourdes, notamment des lance-roquettes et des drones, ont été découvertes.
Qui était à l’origine de cette attaque ?
Parmi ces combattants, on comptait Milan Radoičić, un homme d'affaires puissant de la région et le vice-président de la Liste serbe, un parti local du nord du Kosovo affilié au président Aleksandar Vučić en Serbie. Sa présence a soulevé de nombreuses questions sur son rôle au sein de ce commando. Il a admis être l'organisateur du commando tout en exonérant Belgrade de toute implication. Après l’incendie, il a démissionné de son poste de vice-président, a été interrogé par les autorités serbes et finalement arrêté par celles-ci mardi 3 octobre.
Cependant, les enquêteurs kosovars ne croient pas en l'innocence du président serbe Aleksandar Vučić, qui est, entre autres, déjà accusé d'avoir orchestré l'assassinat de l'opposant et activiste serbe Oliver Ivanović en 2018. Albin Kurti, le Premier ministre kosovar, a même accusé la Serbie et Vučić de chercher à déstabiliser le pays en vue de provoquer un conflit armé. Cet événement du 24 septembre a ravivé les tensions existantes, beaucoup craignaient une réaction plus violente de la part du Kosovo ou de l'ONU.
Certains experts soupçonnent également un rôle joué par la Russie, qui verrait d’un bon œil un embrasement de la zone. Cela permettrait de détourner l’attention de l’OTAN qui reste pour l’instant rivé sur la guerre en Ukraine et qui serait donc moins vigilant vis-à-vis de la Russie de Poutine.
Un conflit ancré dans l’histoire
Pour comprendre ce conflit qui ne cesse de secouer les Balkans, il est nécessaire de revenir un peu en arrière.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Royaume de Yougoslavie tombe au profit de la République fédérale socialiste de Yougoslavie, composée de six républiques : la République populaire de Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Slovénie et la Serbie, incluant le Kosovo. Chacune de ces républiques avait sa propre langue et son administration, bien que le gouvernement central, dirigé par Tito, demeurait puissant.
Le Kosovo, majoritairement albanais, était une province autonome de la République de Serbie. Il bénéficiait des mêmes droits que les autres républiques autonomes au sein de la Fédération, même s'il restait juridiquement lié à la République serbe. En 1980, après la mort de Tito, les Albanais du Kosovo, devenus majoritaires dans la région, ont organisé des manifestations violentes pour réclamer le statut de république à part entière. Cependant, les autorités serbes ont tenu tête aux manifestants et réprimé ces révoltes.
En 1989, le président serbe Slobodan Milošević rêve d’une Yougoslavie à nouveau unifiée et révoque donc l'autonomie du Kosovo, dissout son gouvernement et son parlement, et interdit l'usage de la langue albanaise dans les écoles et les médias.Les années 1990 voit l’éclatement de la Yougoslavie. Les déclarations d'indépendance se multiplient, notamment en Croatie et en Bosnie. En 1991, le Kosovo proclame à son tour son indépendance et élit clandestinement un président, Ibrahim Rugova. En 1997, après plusieurs tentatives de négociations pacifiques avec la Serbie, l'Armée de Libération du Kosovo (UCK) est créée, et lancent des opérations de guérilla contre les autorités serbes du Kosovo. Cela conduit à des massacres réciproques, causant environ 2300 morts au total. Après une année sanglante, la guerre prend fin en 1999, grâce à l'intervention de l'OTAN contre la Serbie.
La région passe alors sous l'administration des Nations unies. Dès lors, près d'un million de Kosovars albanais reviennent progressivement sur leurs terres, tandis que les Serbes du Kosovo préfèrent migrer vers les pays voisins. Jusqu'en 2008, le statut du Kosovo reste incertain. Le 17 février 2008, le Premier ministre du Kosovo proclame solennellement l'indépendance du pays, qui n’est évidemment pas reconnu par la Serbie.
Aujourd'hui, la reconnaissance du Kosovo ne fait pas consensus, et ce, même au sein de l'Union européenne. Sur les 197 pays recensés par l’ONU, 98 reconnaissent le Kosovo, tandis que 5 pays de l'UE ne le font pas : l'Espagne, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et Chypre. Kosovo et Serbie semblent toujours en proie à des tensions et leurs relations restent fragiles.
Une tension en hausse ces dernières années
Novembre 2022 : l’affaire des plaques d’immatriculation
Ces tensions se sont manifestées en 2022 en raison d'un différend sur les plaques d'immatriculation. Pristina a imposé aux conducteurs de véhicules serbes entrant au Kosovo l'utilisation de plaques d'immatriculation provisoires du Kosovo en signe de réciprocité. En effet, les Kosovars sont depuis 2008 obligés de changer leur plaque d’immatriculation s’ils veulent aller en Serbie, leur pays n’étant pas reconnu par Belgrade.
Cette mesure prise par Pristina a entraîné de grandes contestations, provoquant même le déploiement de troupes à la frontière. Une nouvelle fois, une intervention de l’ONU fut nécessaire pour éteindre le feu.
Mai 2023 : des maires jugés illégitimes
À la suite du conflit concernant les plaques d'immatriculation, de nombreux Serbes ont démissionné de leurs postes au sein des institutions locales communes en signe de protestation. Pristina décide d’organiser des élections municipales en avril 2023 pour pallier ces postes vacants, un scrutin boycotté par les Serbes du nord du Kosovo puisque l’abstention a atteint 96%. L'installation des nouveaux maires kosovars albanais a déclenché une vague de manifestations violentes dans la région, causant une trentaine de blessés parmi les soldats de la mission de maintien de la paix de l'OTAN et une cinquantaine chez les manifestants serbes. Suite à cet épisode, l'Union européenne a pour la première fois accusé le Kosovo de provocations, et a menacé Pristina de sanctions politiques si une désescalade n'était pas amorcée. Selon Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, cette accusation de Pristina en tant que « fauteurs de trouble » était nécessaire pour les Etats-Unis et l’UE car « il fallait ménager Belgrade, de crainte qu’elle se tourne vers Moscou ». Cette accusation a donc été selon lui « totalement démentie par les événements du 24 septembre ».
Malgré des périodes de calme, les deux pays demeurent souvent au bord de la confrontation, alimentant les inquiétudes quant à une escalade du conflit. Sur les réseaux sociaux, les hommes politiques entretiennent la flamme, avec des déclarations incendiaires venant des deux côtés. Le ministre de la Défense serbe a laissé entendre que les forces serbes étaient prêtes à envahir le Kosovo, qui représenterait le berceau de la civilisation serbe, sur ordre du président Aleksandar Vučić. De son côté, le Premier ministre kosovar a dénoncé l'attaque terroriste comme faisant partie d'un plan plus vaste visant à annexer le nord du Kosovo par une série d'attaques coordonnées sur trente-sept positions.
La situation est donc toujours tendue, et la résolution de ce conflit persistant reste un défi majeur pour la région et la communauté internationale.