Faunes, un drame silencieux

L’Opéra de Paris accueille trois pièces contemporaines mettant à l’honneur compositeurs et chorégraphes russes. Sharon Eyal, ancienne danseuse et directrice artistique de la Batsheva Dance Company présente une relecture libre d’une œuvre emblématique des Ballets russes : L’après-midi d’un faune.

Au son de la mélodie flottante et chimérique de Debussy, Sharon Eyal donne corps à des créatures mythologiques, emportant ainsi le spectateur dans une rêverie où vulnérabilité et physicalité extrême s’entremêlent.


Une relecture libre et actuelle de la pièce russe L'après-midi d'un Faune

Faunes de Sharon Eyal est une relecture de L’après-midi d’un faune de Nijinski (1912), pièce composée à partir de la partition de Claude Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune, 1894), elle-même basée sur un poème de Stéphane Mallarmé (L’après-midi d’un faune, 1876).

Les liens tissés avec la pièce de Nijinski sont évidents : on pense à l’importance donnée aux mains et au buste, à l’évolution des corps de profil et en torsion qui rappelle l’esthétique bidimensionnelle des vases grecs mais aussi au drapé des tuniques signées Maria Grazia Churi (directrice artistique Dior) qui nous plonge dans la mythologie grecque.

Il n’est plus question de genre. Ce sont huit figures unisexes, à la fois nymphes et faunes, animales, végétales et humaines qui se meuvent sur scène. Cette fluidité des genres interpelle le spectateur, d’autant plus que l’esthétique de Sharon Eyal, mêle elle-même féminité, vulnérabilité et animalité.

Néanmoins, Sharon Eyal propose ici une relecture libre de la pièce du danseur russe. Celle-ci relate les aventures d’un faune surpris par des nymphes et met en scène une attitude ouvertement érotique jugée choquante lors de la première représentation.

Ici, et c’est d’ailleurs ce qui en fait une relecture très actuelle, il n’est plus question de genre. Ce sont huit figures unisexes, à la fois nymphes et faunes, animales, végétales et humaines qui se meuvent sur scène.

Cette fluidité des genres interpelle le spectateur, d’autant plus que l’esthétique de Sharon Eyal, mêle elle-même féminité, vulnérabilité et animalité. Cette danse à la fois primaire et raffinée associée à la temporalité flottante de la partition de Debussy nous plonge dans un univers sensuel, comme une quête de masculinité et de féminité.

On ne peut, en effet, rester insensible au charme et à l’excellence tant de Marion Barbeau que de Simon Le Borgne dans cette gestuelle.

Quand technicité et émotion se mêlent, les corps tremblent

La force de l’esthétique de cette chorégraphe tient à l’alliance entre la technicité extrême de sa danse et l’émotion qui en ressort. Les mouvements sont minimes mais sont le résultat d’une tension et d’une connexion musculaire et articulaire extrêmes d’où proviennent l’émotion et la vulnérabilité qui touchent le spectateur de plein fouet.

Marion Barbeau qualifie cette expérience en ces termes : « c’est comme si les os se déchiraient ». De cette situation extrême se crée un « drame silencieux » (Sharon Eyal) : cette physicalité poussée à l’extrême amène une émotion contenue au plus profond de soi. Elle recherche une sensation de mise à nu à travers la technicité du mouvement qui permet la révélation d’êtres vulnérables et purs.

On retrouve ici l’influence de la méthode gaga, développée par Ohad Naharin (directeur artistique de la Batsheva Dance Company) alliant puissance et émotion. Il prône une danse consciente, à l’écoute du corps et des sensations mais aussi particulièrement physique. Selon Sharon Eyal, « Gaga est un langage unique et pur qui permet de s’exprimer librement et de se découvrir. Il m’a permis de trouver mon chemin »

« Gaga est un langage unique et pur qui permet de s’exprimer librement et de se découvrir. Il m’a permis de trouver mon chemin. », Sharon Eyal


Une autre influence notable dans le travail de la chorégraphe est celle du ballet classique. On retrouve en effet l’extrême technicité et physicalité de la danse classique dans ses mouvements, qu’elle ajoute à une réelle volonté de mise à nu totale du danseur.

L’absence de vêtements sur la majeure partie du corps des danseurs permet par ailleurs au spectateur de visualiser les effets physiques de cet état de corps. La tenue drapée, ouverte sur l’abdomen dévoile le centre de gravité du danseur, source de tout mouvement et de toute émotion.


Les huit danseurs et danseuses semblent incarner tantôt des pantins désarticulés, tantôt des roseaux fragiles, toujours en mouvements et très proches de leurs sensations. C’est sur une base animale, instinctive et puissante que vient s’inscrire une émotion des plus pures.


Sur scène, les danseurs sont plongés dans un brouillard verdâtre rappelant les sous-bois. Perchés sur de très hautes demi-pointes, il semble que leurs corps soient animés d’une brise intérieure, arquant, cambrant et grandissant leur dos, leur nuque, leurs bras et jusqu’aux extrémités de leurs ongles. Les huit danseurs et danseuses semblent incarner tantôt des pantins désarticulés, tantôt des roseaux fragiles, toujours en mouvements et très proches de leurs sensations. C’est sur une base animale, instinctive et puissante que vient s’inscrire une émotion des plus pures.


Si l’extrême virtuosité et technicité d’une pièce résulte souvent en une perte d’émotion, la danse de Sharon Eyal en est l’exact opposé. La plus forte des émotions s’inscrit pour elle dans la puissance seule manière d’accéder au soi intérieur. Tout cela se retrouve dans son processus de création et de transmission qui puise ses sources dans le ressenti, l’instinct et l’imaginaire avant une quelconque communication langagière.

Il semble ainsi que cette quête émotionnelle, cette recherche de mise à nu et de connexion entre corps et esprit ne soit pas entièrement détachée d’un certain romantisme.

A ne pas rater :

Pour retrouver cette gestuelle minimaliste et envoûtante, Sharon Eyal présentera une création pour la GöteborgsOperans Danskompani à la Grande Halle de la Villette du 4 au 7 mai 2022. La Batsheva Dance Company où Sharon Eyal a exercé en tant que danseuse et chorégraphe se produira par ailleurs au Théâtre National de Chaillot du 12 au 27 mai 2022.

Précédent
Précédent

Nouvelle Calédonie: une illustration de la ruée vers l’océan

Suivant
Suivant

Pourquoi il faut voir et revoir Il était une fois en amérique