RDC : Minerais de sang…une sombre exploitation
"J'ai travaillé dans les mines car mes parents n'avaient pas les moyens de m'acheter de la nourriture ou des vêtements. Papa est sans-emploi et maman vend du charbon"... Cette phrase vient d'un enfant de 13 ans, portant le nom d'Arthur. Arthur connaît bien les mines congolaises. Il y travaille depuis l'âge de 9 ans. En réalité, Arthur n'est qu'un enfant parmi plus de 40 000 autres (chiffre de l’UNICEF) qui passent leurs journées à exploiter les mines de cobalt concentrées en République Démocratique du Congo (RDC). Pourtant, le travail des enfants ne représente qu'une couche des problèmes engendrés par cette exploitation sans limites du cobalt…
Minerais de sang ?
À l’heure actuelle, les minerais de sang désignent plusieurs minerais qui font l’objet de conflits pour les gains que l’on peut en retirer. Ils se composent de l’étain, un métal servant à la construction d’armes, du tantale, un minerai utilisé pour fabriquer des éléments chirurgicaux ou des implants et du cobalt. Le cobalt est peut-être celui qui a le plus de valeur dans notre monde contemporain, étant essentiel à la production des batteries. Or, dans le cadre des politiques de développement du numérique et de transition écologique entamées par la plupart des pays, les besoins en électricité et donc en batteries vont croissants. L'interdiction de la vente de voitures fonctionnant à l’essence par l’UE en 2035 n’est qu’un exemple parmi tant d'autres de cette dépendance grandissante à l’électricité. Et par cette dépendance, c’est en fait un besoin exponentiel de cobalt qui transparaît. En 2023, les demandes en cobalt sont de 140 000 tonnes par an. D’ici à cinq ans, elles dépasseront les 250 000 tonnes. Or, près de 80% des ressources en cobalt se trouvent… en République Démocratique du Congo.
Une exploitation de la société congolaise qui se mène dans l’ombre…
En raison de cette concentration en RDC, l’exploitation du cobalt est devenu le noyau de l’économie congolaise. De cette seule production, la RDC retire plus de 80% de ses recettes d’exportations. Selon des témoignages obtenus par Arte, toute la vie des Congolais tourne autour de ces exploitations minières. Les paysages du pays sont les premiers touchés par ce nouveau marché. Depuis les années 1990, il apparaît des collines constituées en apparence de sable et de poussière, particulièrement dans les régions du Nord et Sud Kivu, aussi surnommées "région des grands lacs" et voisines du Rwanda. Cependant, avec le vent, ce n'est pas du sable qui est transporté de ces collines, mais des particules de cobalt invisibles à l'œil nu et pourtant dévastatrices pour l'homme et l'environnement. Concernant l'humain, la respiration de ces particules entraîne de nombreux problèmes respiratoires pouvant être mortels. Diffusées sur l'ensemble du territoire de RDC, ces particules de cobalt ont empoisonné de nombreux cours d'eau, effet dévastateur pour toute la faune et la flore de RDC. Aujourd'hui, toute forme de plantation dans la région des grands lacs se trouve contrecarrée par ce poison invisible et les villages entourant les mines sont complètement démunis face à ce danger.
Cette exploitation minière est aujourd'hui devenue le noyau autant que le poison de l'ensemble de la société congolaise, touchant hommes, femmes et enfants. Les hommes sont pour beaucoup amenés à travailler dans les mines afin de gagner leur vie. En tant que mineurs, ils descendent chaque jour des dizaines et des dizaines de mètres, afin de déterrer toujours plus de cobalt. Les descentes se font dans des tunnels de quelques centimètres de largeur, à peine suffisant pour pouvoir respirer, et peuvent durer jusqu'à trente minutes. Puis pendant parfois plus de 12 heures, les mineurs creusent au cœur de la terre, à la recherche de cette roche d'apparence noire qu'est le cobalt. Les conditions de travail de ces mineurs ne sont aucunement sécurisées. Ils ne disposent pas de masques face au danger des particules de cobalt pourtant cancérigènes. Ils ne disposent pas non plus de matériels de sécurité prévenant les effondrements des galeries. À chaque instant, ils risquent donc de se retrouver ensevelis sous les pierres, et en mourir, dans le meilleur des cas, directement sous le coup de l'effondrement. Il n'existe pas de chiffres officiels sur le nombre de morts dû aux effondrements des mines, seuls quelques témoignages recueillis par des ONG comme Amnesty internationale indiquent la récurrence de ces effondrements.
Ces exploitations minières n'impliquent pas que les hommes, mais aussi les femmes et les enfants. Les femmes se spécialisent dans le nettoyage et le tri des minerais déterrés, afin d'isoler le cobalt tant recherché. Elles aussi sont exposées aux particules de cobalt durant les 12 heures de travail par jour, parfois sous une chaleur extrême. Les enfants, quant à eux, constituent une part importante des travailleurs dans les mines. Selon l'UNICEF, ils seraient en 2015 plus de 40 000 à y travailler, or ce nombre est en constante augmentation. Comme les adultes, ils travaillent en moyenne 12 heures par jour sur le terrain, transportant des charges bien trop lourdes pour leur âge, parfois sous plus de 35 °C, tout en étant exposés aux particules de cobalt. Ils subissent tous ces facteurs de détérioration de leur système de santé, alors même que leur corps n'a pas terminé sa croissance, pour un à deux dollars par jour. Pour beaucoup, ils arrêtent l'école et se consacrent entièrement à ce travail plus que contestable, se faisant ainsi piéger par l'industrie du cobalt. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon l'UNICEF, la RDC est l'un des pays où le taux de mortalité infantile est l'un des plus élevés au monde.
Toute la société congolaise se retrouve donc prisonnière d'une économie minière qui n'est pas près de s'arrêter.
Des entreprises étrangères comme protagonistes de cette exploitation
Au total, la RDC se compose de dix-neuf mines officielles détenues par des entreprises étrangères. Parmi elles, deux sont mises en avant dans les médias. Selon Arte, quinze de ces mines sont aujourd'hui détenues par une société chinoise contrôlée par la Sasac, soit la Commission chinoise d'administration et de supervision des actifs publics, financée par le Parti Communiste Chinois (PCC). Les deux restantes sont la propriété du géant suisse Glencore, une société d'exploitation des matières premières très implantée dans de nombreux pays d'Afrique et particulièrement en RDC. Les acquisitions de ces deux entreprises se sont effectuées, non sans corruption, par des contrats signés avec l'ancien gouvernement de Joseph Kabila (2001-2019). Ces entreprises étrangères gardent la main sur près de 80% des ressources en cobalt. Les 20% restants sont issus de mines artisanales, pour la plupart non réglementées par le gouvernement. Seules les ZEA, les "Zones d'exploitation Artisanales" sont régulées par le code du travail et doivent assurer la sécurité des mineurs. Seulement, elles se font rares sur le territoire. La majorité des mineurs travaillent donc sur des zones d'exploitation dites "grises" ou dirigées par ces entreprises étrangères qui ont leur propre code du travail... Par la suite, la majorité du cobalt extrait est envoyée en Chine, seul pays à détenir les moyens de le transformer chimiquement. Ce sont derrières de nombreuses entreprises, pour beaucoup occidentales, qui reçoivent le cobalt transformé nécessaire à la fabrication de leurs batteries. Chine et entreprises occidentales sont alors des acteurs incontournables de cette sombre exploitation.
Minerais de sang, source de guerre…
Depuis la fin de la deuxième guerre du Congo en 2003, les mines artisanales font l'objet de fréquents conflits entre différents groupes armés. L'armée congolaise fait notamment face au M23 (Mouvement du 23 mars), un groupe paramilitaire composé d'anciens soldats de l'armée, pour beaucoup rwandophones, créé à la suite d'un accord signé entre le gouvernement et une milice pro-tutsi le 23 mars 2009. Selon les discours, ces affrontements prennent leurs racines dans le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994 au Rwanda, à la suite duquel, de nombreux Hutus ont fui vers la RDC. Le M23 se déclare donc pro-tutsis et accuse le gouvernement congolais de marginaliser les Tutsis sur la scène politique. Il revendique les terres du Nord-Kivu, réputées pour être majoritairement rwandophones, et est soutenu dans l’ombre par le gouvernement rwandais de Paul Kagame. En réalité, les raisons de ce conflit entre groupes armées, mais aussi entre pays, trouvent leurs sources dans l'abondance de ressources minières - dont le cobalt fait partie - recouvrant la région des grands lacs.
Depuis 1998, ces affrontements, aujourd'hui nommés "Guerre du Kivu", ont provoqué la mort de plus de six millions de personnes, selon les rapports d’ONG humanitaires et de l'ONU. Une question est alors à se poser : les ressources minières valent-elles vraiment ce prix ?