Je saigne, donc je suis !

Angelica Liddel  choque le spectateur. Face à la provocation, celui-ci en ressort vidé ! 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 « Je suis le sujet que je connais le mieux ». Angelica Liddle rejoint cette pensée Kahlotienne [« Si je me peins, c’est que c’est le sujet que je connais le mieux ! ». Citation de Frida Kahlo en répondant présente à l’appel de Milau Rau. La metteuse en scène s’empare de Liebestod titre final de l’Opéra Tristan et Iseut à l’Odéon le 16 novembre 2022. Entre Wagner et Rimbaud, entre scarification et corrida, elle offre au spectateur un autoportrait romantique et mystique, une véritable carrière artistique affirmée.

Olé !

Liebestod, El olor a sangre no se me quita de los ojos, (L’Odeur du sang ne me quitte pas des yeux) Juan Belmonte Histoire(s) du théâtre III, voilà un titre bien compliqué auquel se retrouve confronté le spectateur. Après avoir signé un contrat de consentement mental avec la scarificatrice espagnole, celui-ci peut enfin prendre place sur son fauteuil rouge. L’Odéon annonce la couleur une fois les lumières éteintes : la protection des droits de l’enfance sonne le feu rouge, la scène des bébés n’aura pas lieu. Les pères défileront seuls, Angelica devra sacrer des êtres invisibles. Si les bébés jouissent d’un droit de veto, les chats eux n’ont pas cette chance. En laisses, ils sont livrés à une musique assourdissante. Les chats viennent rendre hommage à Juan Belmonte, maître spirituel de l’art du torero, ils viennent lui porter chance avant son combat final. La tauromachie se met alors en marche au sein d’un tableau fantasmagorique où Liddell se jette corps et âme. Entre une tête de cheval, un taureau et des carcasses sanglantes sorties tout droit de l’abattoir, la performeuse nous emmène dans un univers bestial et poétique, qui vient rendre hommage aux œuvres romantiques et naturalistes de Francis Bacon et de Jérôme Bosch. Les carcasses sont bien bestiales, mais le sang lui ne l’est pas, il appartient à Angelica. N’est-il pas jouissif pour le spectateur de voir une comédienne faire sacrifice de son propre cœur sur scène ? Boum ! Un spectateur tombe dans les pommes ! La vue du sang de la performeuse assise, les jambes écartées, dégustant du pain empreint de cyprine et de sang, voilà de quoi en choquer plus d’un. Et pourtant, les autres spectateurs restent admiratifs, contemplateurs passifs de ce corps mutilé. Satisfaits de cette morbidité, ils crient un silencieux olé !



El Autoretrato (autoportrait), l’art de la controverse !

L’amour, l’amour, l’amour, dont on parle toujours. Iseult ne meurt-elle pas d’amour face au corps inanimé de son amant Tristan ? Angelica ne meurt-elle pas d’amour face au taureau ? Elle le combat. Elle combat son amant empaillé à sa manière, sa chorégraphie séduisante est là pour l’apprivoiser, l’amadouer. L’amour et la mort deviennent figures de proue pour Liddell. Entre Thanatos et Eros, Les grecas s’y mêlent : No sin tu amor no viviré ! ( Sans ton amour je ne vivrai pas) C’est une Angelica plus intime qui tore dans l’arène. Accompagnée par son esprit invisible : Palestina de Los Rayes, confiante, elle livre un monologue auto-centré à la troisième personne du singulier, un pléonasme par excellence ! Entre indignations et rires, les spectateurs écoutent la performeuse leur cracher à la figure. A, A comme Artiste, mais non pas comme Artaud ! L’artiste espagnole auto-centré rêve de devenir Rimbaud, Artaud, Baudelaire, les maîtres de l’art avec un grand A ! La pauvre Angelica est réduite à l’état de femme artiste engagée ! Contraintes de refuser des CV, contrainte de jouer devant des universitaires, des professeurs, des jeunes artistes qui se battent pour leur retraite. Oh orgueil et préjugés ! Les chevilles ensanglantées d’Angelica gonflent ! En cherchant à choquer pour choquer, Angelica finit par perdre son pari. Son discours trop orgueilleux la conduit à sa perte ! En faute, un manque de répartition dramaturgique. Si le spectateur parvient à subir plus d’une heure de prestation sans paroles, les quarante minutes de provocation ont du mal à passer. Faire subir au spectateur une scène de scarification aussi longue que la mise à mort du christ, de danse flamenco endiablé sans parole, d’un baptême improvisé sans bébés, de carcasses pendantes, pour ensuite enchaîner par un monologue où celui-ci se retrouve insulté et bafoué, est-ce-vraiment une dramaturgie qui fait sens ? L’artiste est de par sa nature un être dont la souffrance est sa destination fatale, tel est le prix à payer pour aspirer à l’élévation. Angelica Liddell reste pourtant bien coincée sur les planches, l’albatros scarifié est enseveli par les prix remportés, ses ailes de géant l’empêchent de marcher, la voilà contrainte à jouer devant les spectateurs idiots que nous sommes.


Le couac du laïus

Si certains spectateurs sont contraints de suivre les sous-titres projetés, d’autres saignent des yeux face à la traduction. Emprisonnée dans une bienséance à la française, la langue de Molière peut bien rester en coulisses. Le second degré de Liddell se confronte à la traduction biaisée des écrans de projection. Pas étonnant que le monologue n’ait pas fait mouche. Les langues sur scène se mélangent. Rimbaud, l’estropié, se lance dans un discours en français soutenu par Liddell à même le sol. Le couac survient ! Les langues de Molière et de Cervantes ne font pas bon ménage et la performeuse n’éclaire en rien le spectateur sur cette transition. De l’écran à la scène, de la scène à l’écran, scène-écran, écran-scène ; le spectateur ne sait plus où donner de la tête. La dramaturgie de Liddell est un échec sans précédent. À trop choquer sans parole, Angelica rate sa cible, le manque de dramaturgie condamne son discours à l’hubris et à la condescendance. Que n’en déplaise à Liddel, le public n’en ressort pas extasié, il tremble et sort vidé de tout amour, de tout érotisme, de toute douleur : une carcasse humaine désespérément vide.  

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