Lens, le réveil du volcan endormi
Le mardi 3 octobre dernier, le Racing Club de Lens a éclaboussé l’Europe de son talent et de son caractère en s’imposant 2-1 face aux gunners d’Arsenal, vice-champion d’Angleterre, dans un stade Bollaert en fusion. Si cette victoire a tout d’une surprise pour une équipe qui n’avait plus joué le moindre match de Ligue des Champions depuis 2003, elle ne doit en réalité rien au hasard au vu de l’évolution que connaît le club depuis son retour en Ligue 1 il y a trois ans à peine. Plongée dans un club qui ne semble faire qu’un avec une ville tourmentée, dans laquelle les Sang et Or sont sur toutes les lèvres.
Une ferveur invraisemblable
Si vous demandez à n’importe quel passant ce qu’il connaît de Lens, deux réponses écraseront la concurrence : l’antenne du Louvre, le Louvre-Lens, et le Racing Club de Lens. D’ailleurs, si vous entrez Lens dans votre barre de recherche google, tout vous orientera vers le RCL. Et pour cause, le football y a presque le statut de religion. Dans cette ville de 32 000 habitants, environ 38 000 personnes se rendent au stade, situé en plein cœur, toutes les deux semaines pour encourager ceux que l’on surnomme les Sang et Or. À titre de comparaison, il faudrait que le Parc des Princes dépasse les 2 millions de sièges si tous les parisiens se déplaçaient pour supporter le PSG.
Pourquoi un tel engouement ?
Pour comprendre d’où vient ce soutien inusable des lensois pour leur club, il peut être intéressant de se pencher sur l’histoire sociale et culturelle des environs. Ainsi, comme à Liverpool ou Dortmund (des géants du foot européen) le RC Lens s’est bâti sur un territoire industriel majeur, ce qui semble régulièrement donner lieu à une ferveur incandescente. Lens est en effet située à la frontière des départements du Pas de Calais et du Nord, dans un espace profondément marqué par son passé industriel, comme en témoignent les terrils, ces montagnes de charbons qui caractérisent le paysage environnant. Mais l’héritage minier de la région ne marque pas simplement le territoire d’un point de vue visuel mais également sur un plan culturel et social. On y retrouve une population d’origines très diverses: polonaise, portugaise ou encore marocaine notamment, mais qui partage un même attachement à la région et son histoire. Aussi, le club de Lens fait aujourd’hui partie de cette histoire commune, l’histoire d’un territoire anciennement très dynamique ayant connu une grande crise, au point de devenir l’un des plus pauvres du pays, mais dans lequel les Sang et Or demeurent un bastion imprenable.
Un club qui renaît
Cependant, cette forteresse a failli tomber il y a de cela quelques années. En effet, le fiasco lié au rachat du club par un investisseur azerbaïdjanais précipite le club vers la deuxième division à l’issue de la saison 2014-2015. Malgré une ferveur populaire toujours présente même en Ligue 2, les Sang et Or ne retrouvent l’élite qu’en 2020, en terminant 2ème d’une saison tronquée par la pandémie de COVID-19. Cette montée signe le début d’une nouvelle ère pour le club, marquée par le mandat d’entraîneur de Franck Haise, toujours en cours à l’heure qu’il est. Haise transforme littéralement l’équipe, qui, en dépit d’un budget parmi les plus faibles du championnat, se hisse systématiquement dans le top 10, jusqu’à une deuxième place retentissante en 2022-2023, à un point simplement de l’ogre parisien. Emmené par des joueurs aux parcours singuliers et pas destinés à jouer les sommets, comme le capitaine Seko Fofana ou encore Florian Sotoca, le club valide alors sa première qualification pour la plus grande des compétitions de club, la Ligue des Champions, vingt ans après la dernière. En quelques années à peine, les Lensois sont passés du ventre mou de la deuxième division à une victoire face à Arsenal à domicile en Ligue des Champions. Et l’engouement ne semble faire que grandir pour cette équipe séduisante par sa philosophie portée vers le jeu et le combat mais aussi son sérieux et sa rigueur.
Le mois dernier, le président lensois Joseph Oughourlian déclarait au micro de l’After Foot sur RMC: “Le club du terroir, c’est Lens”. Cette phrase est l’illustration du retour au premier plan d’un grand du football français, qui, après s’être perdu faute d’une ambition mal placée et d’une essence perdue, a su remonter la pente à force de courage et de combativité, et ce pour le plus grand bonheur des supporters lensois mais aussi des fans de foot en général. En somme, le RC Lens n’est pas tout ce qu’il y a à Lens, c’est au contraire tout ce qu’il y a à Lens qui s’incarne dans le RC Lens. L’illustration parfaite de l’âme qui existe dans ce club est le chant des Corons de Pierre Bachelet, entonné au début de chaque seconde période à Bollaert, et qui semble dépasser largement le cadre du sport, au point d’en faire frissonner plus d’un.