La liberté de la presse en France: une trop grande concentration des médias ?

“Je ne crache pas dans la main qui me nourrit”. Cette déclaration de Cyril Hanouna, présentateur de l'émission “Touche Pas à Mon Poste” diffusée sur C8, proférée lors de sa tentative de faire taire les dénonciations du député LFI Louis Boyard contre le grand patron de la chaîne Vincent Bolloré, vient nous questionner sur un point : quelles sont les limites de la liberté de la presse en France ? 

"Le Figaro", "Libé", "l'Obs"... qui possède la presse française ?. L’OBS, 15 octobre 2015

Ce qu’en dit la loi…

En France, la liberté de la presse est garantie par l’article 4 de la Constitution et véritablement définie par la loi du 29 juillet 1881, ainsi que la loi Léotard de 1986 qui garantit la liberté de communication via les nouvelles technologies numériques. Ces lois permettent l’indépendance et le maintien d’un pluralisme médiatique, fondamental à la démocratie. En effet, dans sa manière d’écrire, un journaliste ne peut être neutre. Il doit faire un choix à chaque mot employé, et sa vision même des événements n’est pas objective. Ainsi, chaque information relatée véhicule des opinions et influence les populations. Afin de se construire un esprit critique, chaque citoyen doit faire face à une pluralité de médias, notamment pour ne pas se laisser influencer lors du vote électoral. La pluralité des médias constitue un pilier de la démocratie. Or celle-ci est aujourd’hui menacée… 

Une liberté de la presse… limitée par la concentration des médias

S’il existe bien une limite à la liberté de la presse française, c’est celle de la trop grande concentration des médias dans les mains de milliardaires. La célèbre phrase “Huit milliardaires possèdent 90% de l’audience” a malheureusement tendance à se rapprocher de la réalité. Actuellement, en France, selon les calculs de Libération, 81,3% des quotidiens nationaux sont détenus par cinq milliardaires  (qui ne les “détiennent” pas à proprement parler mais sont actionnaires majoritaires du groupe de direction). De même pour huit chaînes de télévision généralistes et privées sur treize - soient TF1, LCI, Canal+, M6, C8, BFMTV et CNews qui représentent à elles seules 57% de l’audience - et la moitié des radios nationales d’information. Parmi ces grands milliardaires, les noms les plus cités sont ceux de Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Xavier Niel, Patrick Drahi ou encore la famille Dassault. Chacun de ces milliardaires ne l’est pas grâce aux médias qu’il possède, mais par le biais d’autres activités, pouvant ainsi entraîner des conflits d’intérêt, voire mener à des formes de censure. Le monde de l’Edition, que l’on peut considérer comme un média, est aujourd’hui en première ligne face à cette menace. La première Maison d'Édition, Hachette, a été rachetée en septembre 2021 par le groupe Vivendi, dont Vincent Bolloré est le propriétaire. Or V. Bolloré se trouve aussi être le détenteur du deuxième plus grand groupe de l’Édition: Editis. Cette concentration dans les mains d’un même homme a déjà amené à des formes de censure. Ce fut le cas en septembre 2021, lors du refus d’impression de l’ouvrage Le Fin mot de l’histoire de France en 200 expressions de Guillaume Meurice par Editis, pour “diffamation ou injure” contre de “grandes entreprises connues pour leur attention à leur image de marque”. Or ce livre humoristique tourne à de nombreuses reprises en dérision le principal actionnaire de la Maison : V. Bolloré. Dans le même ton, le rapport de RSF (Reporters Sans Frontière) de 2022 alerte sur la “montée en puissance de l’homme d'affaires Vincent Bolloré” qui pourrait “provoquer un bouleversement du secteur”. 

Pourquoi cette concentration ? 

Cette interrogation fut soulevée par le Sénat lors d’une commission d’enquête en début d’année suite à l’annonce d’une fusion de M6 et TF1, qui s’opposerait à la nécessaire pluralité médiatique et la concurrence. Cette concentration pose question, car malgré les dires de Vincent Bolloré, interrogé par la commission en janvier 2022, le secteur des médias traditionnels (radio, télévision, presse écrite) n’est pas producteur de richesses. Pire, son chiffre d'affaires est en baisse depuis 2010, passant de 10 milliards d’euros à 7,5 milliards en 2018, notamment la presse écrite, secteur le plus touché. Pourquoi cette baisse ahurissante ? Simplement à cause du développement d’un domaine en pleine explosion : le numérique. Initialement, les médias (la presse écrite étant la plus concernée) ont deux sources de revenus : les abonnements et les annonceurs publicitaires. Or, depuis l’avènement du numérique, le nombre d’abonnements diminue chaque année. De même, les publicitaires se tournent de plus en plus vers le numérique, bien plus bénéfique. Aujourd’hui, ⅔ des annonces se font sur les réseaux sociaux ou Internet, contre 1⁄3 pour les médias traditionnels. Si ces milliardaires investissent autant dans le secteur médiatique, ce n’est donc pas pour sa rentabilité... 

David Assouline, le député socialiste à l’initiative de cette commission d’enquête, relève une autre explication : la volonté de contrôler le débat public, rester à l’abri des scandales, afin d’avoir une plus grande liberté d’action dans leurs autres secteurs d’activités - pas toujours respectueux des droits de l’homme - . Par exemple, la famille Dassault s'est enrichie grâce à l'armement et Xavier Niel avec le domaine de la téléphonie. Or, détenir une grande partie des médias nationaux et posséder diverses sources de revenus à côté pose un problème : celui des conflits d’intérêt. En effet, l’un de ces milliardaires peut être tenté de faire pression sur le média détenu afin que celui-ci ne publie pas certaines informations pernicieuses qui noircirait son image publique. Plus qu’une hypothèse, cette forme de censure s’est déjà produite à plusieurs reprises en France. En 2016, Le Parisien gardait un silence total sur le film documentaire humoristique Merci Patron ! du journaliste - et actuellement député -  François Ruffin qui dénonçait les pratiques de Bernard Arnault sur un ton satirique, alors même que celui-ci en est l’actionnaire majoritaire. Similairement, en 2017 éclatait un scandale de corruption concernant la vente de 36 rafales Dassault Aviation au gouvernement indien de N. Modi. Un scandale qui n’est jamais apparu dans les pages du Figaro… Face à cette concentration des médias et les dérives qui l’accompagnent, comment repenser un modèle du média français plus propice à la confiance des citoyens ? 

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