Football et écologie : un duo incompatible ?
Début octobre, la FIFA annonçait l’attribution du Mondial de football 2030 au trio Espagne-Portugal-Maroc, dont trois matchs joués en Amérique du Sud, une décision qui soulève des interrogations sur la gestion environnementale des dirigeants. Néanmoins, à l’échelle des clubs et des associations, un changement s’opère progressivement.
Le retard de la FIFA
Nombreuses sont les ONG à décrier l’aberration écologique qu’a constituée la coupe du Monde 2022 au Qatar. Entre les stades climatisés, la construction de métros, aéroports, et les 200 vols quotidiens pour transporter les supporters, cette Coupe du Monde est loin d’être neutre écologiquement. Selon le comité d’organisation, près de 3,6 millions de tonnes de CO2 ont été rejetées dans l’atmosphère. Pour la société Greenly, spécialiste de l’évaluation de l’empreinte carbone de grands évènements, le chiffre tourne plutôt autour des 6 ou 7 millions de tonnes de CO2. A titre de comparaison, la Coupe du monde de Russie de 2018 consomma 2,2 millions de tonnes de CO2, et les Jeux Olympiques de Rio en 2014, près de 3,6 millions de tonnes.
Mais cette réalité, la FIFA semble peu s’en soucier. Elle affirmait dans un rapport que : « La première coupe du Monde de la FIFA organisée dans le monde arabe […] [est] déjà considérée par certains comme la plus belle de l’histoire de la compétition. » Les enjeux des vols quotidiens sont alors mis sous silence, préférant aborder « les réseaux de tramway et de métro de Doha et Lusail [qui] ont effectué 9,19 millions de trajets en transportant en moyenne 707 032 passagers par jour ».
Et les choix des futurs Coupes du monde ne vont pas en s’améliorant. Selon la Gazzetta Dello Sport, la Coupe du monde 2026, organisée par le trio États-Unis, Canada et Mexique, devrait être composée de 48 équipes (contre 32 jusqu’ici) et de 104 matchs, soit… 40 de plus qu’au Qatar. Donc plus d’équipes, plus de matchs, plus de trajets : la distance maximale entre deux villes hôtes étant de 4000km.Pour Antoine Miche, président de l’association Football Écologie France, qui œuvre pour la progression de la question écologique dans le milieu du foot, « on se dirige vers un Mondial mathématiquement plus mauvais sur le plan écologique ».
La coupe du monde de 2030 poursuit sur la même lignée. Elle est organisée pour la première fois sur trois continents : l’Europe (Espagne et Portugal), l’Afrique (Maroc) et trois matchs en Amérique du Sud (en Argentine, Uruguay et Paraguay) pour célébrer le centenaire de la première Coupe du Monde (en Uruguay en 1930). Une nouvelle décision qui, encore une fois, ne laisse pas unanime. L’entraîneur du RB Lepizig, Marco Rose réagit ainsi à la décision : « À un moment donné, nous jouerons sur l’Everest parce que nous pourrons y créer un terrain de jeu et le commercialiser ».
Les clubs, des acteurs qui se mettent progressivement au vert
Si à l’échelle internationale, le football est peu soucieux de la dimension environnementale, un changement s’opère progressivement à l’échelle nationale. Par exemple, le club anglais de Manchester City présentait, dans une vidéo publiée en juillet 2020, l’inquiétude de l’impact du réchauffement climatique sur le futur du football. La campagne, intitulée « The End of Football » (La fin du Football), se passe en 2045 dans un monde dans lequel les pénuries d’eau empêchent la tenue des matches de Premier League. Véritable prise de conscience ou simple greenwashing ? Sûrement un peu des deux… Mais pour Antoine Miche, un changement s’opère puisque l’association Football Écologie France est « actuellement sursollicité, autant par les clubs professionnels qu’amateurs, ce qui montre bien que le football veut se saisir des enjeux écologiques ».
L’impact écologique du football:
Selon des estimations, un match de Ligue 1 produit en moyenne 10 tonnes de déchets et 3 tonnes de CO2.
La LFP affirme que sur l’année 2018-2019 87 % des émissions de carbone des déplacements sont liés à ceux des spectateurs.
Chaque week-end, 3 millions de kilomètres sont parcourus par les équipes pour jouer un match.
Désormais, de nombreux clubs réalisent des actions en faveur de l’écologie. En 2022, Lyon a par exemple été sacré « club le plus écolo de France » par l’ONG Sport Positive. Les Lyonnais mènent, plusieurs actions, que cela soit l’utilisation d’énergies renouvelables, le tri de déchets, ou l’entretien de la biodiversité avec ses 12 ruches. Selon un rapport de la LFP (2022-2023, Jouons la Collectif), 78 % des clubs proposent désormais une solution de covoiturage à leurs supporters (OL, OM, AS Monaco, TFC…)
À l’échelle internationale, le club des Forest Green Rovers a fait parler de lui. Considéré par l’ONU (2019) comme le club le « plus écolo du monde », l’équipe de 4e division anglaise s’est rapidement imposé comme un modèle. Pionniers d’un football écoresponsable, le club du sud de l’Angleterre favorise les énergies renouvelables (éolien et solaire avec ses 180 panneaux solaires sur le toit du stade), des mobilités douces et une cantine 100 % végane. Le club dispose également d’un système de récupération d’eau de pluie, de bornes de recharge électriques sur le parking du stade, et de maillots fabriqués avec des matériaux recyclables. A cela s’ajoute un projet de construction de stade : celui le « plus green au monde », fait entièrement en bois.
Mais le club est érigé en modèle, car celui-ci parvient à allier écologie et résultat sportif. Forest Green Rovers est repris en 2010 par Dale Vince le président d’Ecotricity, une compagnie d’énergies renouvelables. Le club stagne alors en D5 anglaise. Dale Vince place l’écologie au cœur de l’identité du club. En 2017, il atteint pour la première fois de son histoire la 4e division. Les Rovers connaissent même un passage d’un an en 3e division (2022-2023) avant d’être relégué en D4. Si le club peut apparaître « extrême » dans sa gestion, pas nécessairement conciliable avec le très haut niveau, il montre tout de même que « écologie » et « football » ne sont pas incompatibles.
Cependant, pour Antoine Miche, ce progrès sur le domaine écologique, même si bien réel, reste contrasté : « Le souci, c’est que les actions entreprises sont ponctuelles. L’écologie n’a pas encore été institutionnalisée, intégrée à la stratégie globale des clubs. À l’inverse de l’économie, le retour sur investissement des actions écoresponsables n’est pas mesurable. Ce qui crée un certain attentisme de la part des acteurs. »
Les associations, acteurs centraux de la transition
Cette ambivalence des clubs explique le rôle important des associations dans cette transition vers un modèle de football plus écoresponsable. L’association Football Écologie France mène ainsi de nombreuses actions : aide à la transition de clubs professionnels, ainsi que sensibilisation sur le sujet. Elle organise par exemple une Fresque du Climat, une réunion pour comprendre l’impact écologique du football. Des clubs comme le Toulouse Football Club, les Girondins de Bordeaux ou Grenoble Foot 38 en ont bénéficiées. L’association développe également des outils pour les amateurs comme le « Passeport d’éco-supporters », un guide pour sensibiliser et encourager la pratique d’un supportérisme responsable d’un point de vue environnemental.
D’autres acteurs privés comme Stadium Go se développe et s’implante dans le paysage footballistique. Cette application sert à faciliter le covoiturage entre supporters, un enjeu essentiel pour réduire l’empreinte carbone du football – correspond à 3/4 des émissions d’un évènement sportif-. L’application développe ainsi des partenariats avec une quinzaine de clubs de Ligue 1 comme le TFC, le Stade Rennais ou l’Olympique de Marseille.
Alors, pour paraphraser la vidéo de Manchester City : « Si nous agissons maintenant, nous pouvons sauver notre futur et le jeu qu’on aime ».