La fusion, l’énergie du futur ?

Regards sur le projet le plus ambitieux du

XXIᵉ siècle : ITER


C’est en France, à Saint Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône), que se situe un projet expérimental aussi passionnant que fondamental pour l’avenir énergétique du monde : ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor, mais aussi le terme latin pour "le chemin", iter). En effet, c’est près du site Cadarache du Commissariat à l’énergie atomique que se construit un réacteur à fusion nucléaire d’envergure censé prouver la viabilité industrielle de cette technologie. Cela doit permettre à terme un déploiement massif de ce type de centrales électriques, qui s'appuient sur la même réaction que celle ayant lieu au cœur du Soleil.


L’urgence climatique qui se mue en urgence énergétique


Si le projet ITER ne vise pas à produire de l’électricité ni à se raccorder au réseau EDF, il n’en est pas moins décisif pour l’avenir énergétique des nombreux pays ayant pris part au projet. Car les pays occidentaux ou émergents qui se sont joints à l’initiative depuis 2006 comptent sur cette technologie pour s’affranchir des hydrocarbures, alors que les énergies renouvelables et leurs limitations ne semblent pas encore à même de supplanter les énergies fossiles et que le déploiement de centrales nucléaires de troisième génération (type EPR) ne se dessine pas comme massif.


© BP Statistical Review of World Energy


L’avènement de cette nouvelle technologie semble d’autant plus pressant que la demande énergétique mondiale va toujours croissant malgré les premiers efforts consentis par les pays développés. On comprend donc les espoirs placés en ce projet ITER, ainsi que l’exceptionnelle collaboration internationale entre des pays parfois au cœur de guerres commerciales ou en proie à d’importants différends diplomatiques. Aujourd’hui, le projet comprend 35 membres : l’UE (dont la Suisse via Euratom), les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon et enfin la Corée du Sud. Chaque pays membre contribue au projet en fabriquant des pièces aux dimensions hors-normes ou aux contraintes techniques inédites dans ses usines locales et pour des montants souvent astronomiques. Chaque pays s’engage donc en guise de contribution à fabriquer des pièces qui équivalent à une certaine somme d’argent définie à l’avance.


La technologie derrière le tokamak


Si cette initiative semble a priori folle, elle s’appuie sur un long historique de recherche et notamment sur d’autres tokamaks qui sont quant à eux bien en activité. En effet, si le but de ce projet est de permettre la construction de centrales à fusion nucléaire, la technologie la plus prometteuse aujourd’hui est celle reposant sur des tokamaks : ce dispositif utilise ainsi de très forts rayonnements magnétiques afin de créer à partir de l’hydrogène du plasma, le quatrième état de la matière. Ce procédé nécessite des températures extrêmes, car l’intérieur du tokamak d’ITER devra être capable de monter jusqu’à 150 millions de degrés, soit 15 fois plus chaud que le soleil.


Cette technologie permet d’exploiter la fusion nucléaire, concrètement la fusion de noyaux atomiques, afin de générer indirectement de l’électricité en utilisant l’énergie dégagée par cette fusion. Le procédé est ensuite identique à celui d’un réacteur nucléaire classique, c’est-à-dire que l'énergie dégagée va chauffer de l’eau qui, sous forme de vapeur, entraîne une turbine qui entraîne à son tour un alternateur, ce dernier étant capable de transformer cette force mécanique en énergie électrique.

La technologie permettant la construction de tokamaks est donc la plus prometteuse et la seule réellement explorée aujourd’hui, ce qui a mené au fil des années à la construction de tokamaks de plus en plus grands, avec un doublement de la performance de ceux-ci tous les 18 ans.

Le projet ITER constitue en quelque sorte l’avènement de cette technologie et doit prendre la suite du réacteur JET (Joint European Torus) situé au Royaume-Uni dans la course au rendement. Car si la technologie de fusion nucléaire semble prometteuse, les rendements atteints jusqu’à présent restent inférieurs à 1 (0,67 pour Jet), ce qui veut dire que pour une certaine quantité d’énergie injectée dans le réacteur on en récupère moins en retour.

La question du rendement couplée aux défis liés à la conversion de cette énergie en électricité nous incite à questionner la rapidité avec laquelle cette technologie sera viable à grande échelle, même si ces dernières années nous ont habitués à des progrès technologiques exponentiels, notamment dans le secteur des batteries au lithium ou des microprocesseurs. Cela nous permet de relativiser le faible rendement actuel de cette technologie et de considérer que le projet ITER a encore de grandes chances de réussir.


Quels sont les avantages de cette technologie ?


Outre la possibilité théorique de rendements importants qui n’a pas encore été démontrée en pratique, la technologie que cherche à rendre viable ITER comprend plusieurs avantages majeurs qui la rendent intéressante par rapport aux énergies renouvelables et au nucléaire conventionnel.


Le premier avantage est que cette technologie a pour carburant des isotopes d’hydrogène qui sont beaucoup plus courants que l’uranium des centrales nucléaires classiques, si bien que l’on pourrait qualifier cette technologie de renouvelable. En effet, son carburant est très abondant sur terre, si bien que l’on en trouve même dans l’eau de mer et que la quantité d’énergie fournie par un litre de celle-ci équivaut alors à 350 litres d’essence. On estime enfin que sur terre, on a théoriquement de quoi fournir de l’énergie pour plus de 150 milliards d’années.


Deuxièmement, cette technologie est évidemment non émettrice en gaz à effet de serre, du moins directement, ce qui la rend sur ce point similaire aux énergies renouvelables tel qu’on l’entend aujourd’hui (éolien, solaire, biogaz).


Enfin, cette technologie ne génère pas de déchets radioactifs comme ceux qui entachent la réputation de la fission nucléaire. Les déchets inquiétants sont en effet ceux à haute activité et à vie longue (HAVL), qui doivent être stockés en profondeur et restent radioactifs des milliers d'années. Les déchets produits par la fusion ne sont pas du tout dans le même ordre de grandeur et peuvent être recyclés ou réutilisés dans les 100 ans suivant l'arrêt d’une centrale.


Cette technologie est-elle dangereuse ?


L’avantage majeur de cette technologie de fusion nucléaire par rapport à celle de fission que nous utilisions aujourd’hui est sa sécurité. En plus de s’affranchir du besoin d’uranium ou autres carburants fossiles, la fusion permet d’éviter tout risque d’accident nucléaire tel celui de Tchernobyl ou encore de Fukushima-Daiichi.

Cette sécurité n’est pas artificielle, car elle est issue d’une différence physique fondamentale entre les deux techniques : si la fission consiste en une réaction en chaîne, les fusions d’atomes sont indépendantes, ce qui élimine tout risque de perte de contrôle sur la réaction.


Il est ainsi impossible de perdre le contrôle d’une fusion, alors que dans le cas de la fission si la réaction en chaîne n’est pas bridée par les opérateurs de la centrale la situation risque de dégénérer en fusion nucléaire, comme à Tchernobyl le 28 avril 1986.


Cette “fusion nucléaire” est complètement distincte de la fusion qui a lieu au cœur d’un tokamak comme celui de l’ITER


À quel horizon peut-on espérer avoir un déploiement massif de la fusion nucléaire ?


La viabilité de cette technologie est attendue pour la deuxième moitié du siècle, car si le premier plasma est attendu à l’ITER en 2025 avant une montée en puissance progressive du réacteur qui devrait atteindre sa pleine puissance d’ici à 2035, d’autres projets devront être lancés afin de développer des centrales capables de produire de l’électricité et d’être raccordées au réseau électrique. Le coût de l’électricité produit devrait alors être sensiblement équivalent à celui des centrales nucléaires à fission que nous connaissons aujourd’hui, ce qui permettrait une intégration dans le mix énergétique de la seconde moitié du XXIᵉ siècle afin d’aider à atteindre l’objectif d’une augmentation globale des températures limitée à 1,5° en 2100, tel que fixé en 2015 par l’Accord de Paris, objectif qui semble encore peu atteignable au regard de la trajectoire actuelle.


La complétion du projet ITER est aussi sujette à des contraintes d’ordre géopolitique, puisque la coopération des différents acteurs n’est pas garantie à moyen terme, et que les contributions se font au fur et à mesure sans plan de subvention défini.


Si la capacité scientifique à maîtriser la fusion semble à terme probable, il reste la volonté politique de lancer un programme industriel de conception de centrales basées sur cette nouvelle technologie. À ce sujet, l’actuelle administration américaine semble avoir à cœur d’investir dans les énergies nucléaires, comme le témoigne l’inclusion de celles-ci dans son récent plan d’investissement dans les infrastructures chiffré à 2000 milliards de dollars. Toujours aux États-Unis, le projet SPARC mené par le MIT et concurrent officieux à ITER semble en bonne voie et prévoit de produire de l’électricité grâce à la fusion d’ici à 2030. Ces progrès sont à relier à l’adoption grandissante des voitures électriques, qui vont faire augmenter considérablement les besoins en électricité dans un secteur qui dépend pour le moment des énergies fossiles et surtout du pétrole.



Enfin, la Chine n’est pas en reste et semble même prendre de l’avance dans les technologies de fusion pourtant historiquement dominées par l’Occident, avec de multiples expérimentations dont le tokamak EAST à Hefei.

Si la Chine ne peut pas se targuer d’une suprématie scientifique sur le sujet, son accès à toutes les technologies de l’ITER pourra lui permettre de mettre au point une fois ce projet arrivé à son terme un programme industriel de centrales à fusion, et ce beaucoup plus rapidement que des pays occidentaux souvent réticents sur les questions touchant au nucléaire. Si cette volonté politique forte existe en Chine, c’est que ce pays fortement dépendant du charbon souhaite impérativement se soustraire aux énergies fossiles polluantes, ce qui incite les dirigeants de Pékin à subventionner à grande échelle les projets novateurs et laisse présager que le déploiement effectif de la technologie de fusion nucléaire sera plus rapide en Chine qu’en Occident.



Aurélien.

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