Faudra-t-il boycotter Paris 2024 ?
Alors que la Coupe du Monde de toutes les polémiques vient de se clore, que son boycott pourtant largement plébiscité n’a pas été ressenti – TF1 annonce les meilleures audiences de l’année 2022 pour la diffusion des matchs des Bleus – la question du retentissement politique du boycott d’un événement sportif se pose.
Le boycott, une arme pas tant utilisée
La FIFA ressort enrichie d’un événement sportif plus que réussi, le Qatar n’est aucunement sanctionné et les controverses semblent mises de côté. Droits humains, écologie, mort sur les chantiers n’ont pas semblé parus émoustiller un seul spectateur quand les Bleus sont allés en finale pour la 4ème fois depuis 1998, que le Maroc a refait l’histoire en allant jusqu’en demi et que Messi a soulevé sa première coupe du monde pour la fin de sa carrière internationale. Qui a vraiment boycotté ? C’est la question qui agite toutes les conversations.
Les raisons de détester cette Coupe du Monde étaient pourtant nombreuses : scandale écologique, climatisation allumée à fond, déni des droits de l’Homme largement validé par la FIFA qui ne s’est jamais interposée et sans compter les milliers de morts sur les chantiers que The Guardian a recensés dans une enquête parue en octobre dernier.
Aucune action des gouvernements, des représentations diplomatiques, des fédérations, des équipes et encore moins des spectateurs et téléspectateurs qui se sont rués sur leur poste de télé. Attention, là n’est pas l’idée de culpabiliser chacun qui a regardé, comment se priver quand le foot anime les têtes et fait vibrer les coeurs ?
La question du boycott d’un événement sportif important et largement controversé s’est déjà posée en février dernier. Quand les Jeux d’Hiver de Pékin prenaient place au sein d’un régime autoritaire et génocidaire sur de la neige entièrement artificielle. Scandale écologique, humain et social à nouveau. Certaines représentations étatiques s’étaient alors dressées contre la tenue de ces Jeux Olympiques et n’avaient pas envoyé de délégation diplomatique.
Les appels au boycott des événements sportifs jugés problématiques se multiplient. Au cœur de leur motivation : la préoccupation écologique, le respect des droits humains ou des conditions de travail des ouvriers. Les volontés de créer un sport plus respectueux et engagé sont nombreuses. Elles émanent de la société civile, des instances sportives ou des représentations politiques.
Ces volontés sont précisément au cœur du projet du prochain événement sportif international majeur : Paris 2024.
Une vitrine de tous les Jeux futurs
Depuis le début de sa construction, l’événement se veut exemplaire sur l’ensemble de ces sujets. Devenir pionnier dans la construction d’un événement sportif responsable : c’est tout l’objectif de Tony Estanguet et de ses équipes. Ambition écologique, financière, sociale et paritaire. Les premiers Jeux du nouveau monde.
Pour cela, l’organisation du COJO met en place de nombreuses mesures afin d’y parvenir. En matière écologique, les Jeux seront 0 déchets ils sont prêts à l’assumer : les bouteilles en plastiques ne seront pas de la partie et le papier sera recyclé. Les infrastructures seront, au maximum, déjà existantes et à défaut prévues d’être réutilisées en quartier d’habitations ou en bureaux.
Contrairement à l’ensemble des grands événements sportifs nécessitant des infrastructures importantes et plus que polluantes, 95% des stades existent déjà. C’est dix fois moins d’infrastructures qui seront construites par rapport à la moyenne, soit des économies considérables en matières premières qui sont plus que polluantes. Par-dessus tout, Paris 2024 promet que l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre seront compensées. La vraie question reste à savoir : comment ? L’empreinte carbone de l’événement devrait être divisée par deux en comparaison avec les Jeux de Londres de 2012.
Financièrement, ce seront les premiers Jeux en dessous de 10 milliards dépensés, le pari est plus que risqué et l’inflation actuelle pourrait faire changer la donne mais à un an et demi des Jeux, la situation semble être, en façade, maîtrisée.
En matière d’égalité femme – homme, Paris 2024 a l’intention de promouvoir des Jeux entièrement paritaires. Sur le terrain, dans les tribunes, volontaires et staff : tout sera fait pour qu’il y ait une égale représentation des deux genres au travers de l’événement.
Enfin, socialement, l’organisation a créé une charte sociale en 2018. Après les différentes polémiques de morts sur les chantiers depuis des années, Paris 2024 se veut d’être un exemple en matière de sécurité du travail. Une charte sociale pour protéger l’ensemble de leurs travailleurs, souvent de la main d’œuvre immigrée sur leurs chantiers, c’est ce qu’ils ont trouvé.
J-600, commencer à penser à boycotter ?
Mais, Paris 2024 et ses volontés d’exemplarités ne pourraient-ils pas faire l’objet d’un boycott ?
Alors que les Jeux démarrent dans moins de 600 jours, les différentes polémiques commencent à émerger. Encore faible et largement localisée, c’est un dossier qui émerge doucement sur la table. À l’aune de 2023, ce ne sont plus seulement les militants qui semblent s’en préoccuper. Le journal du Monde publie régulièrement des articles et podcasts à ce sujet.
La charte sociale de Paris 2024 créée en 2018 est-elle tant efficace que cela ? Les chiffres paraissent prouver le contraire. Entre le 30 janvier et le 30 août 2022, plus de 38 accidents mortels du travail ont eu lieu sur les chantiers en France et un article du Monde datant du 5 décembre dernier révélait que les conditions de travail des ouvriers étaient plus que précaires. Pas de contrat, pas de congés, salaire plus que minimum et pas de pause c’est ce que rapporte le témoignage des ouvriers sur les constructions de Paris 2024.
Pour les travailleurs majoritairement immigrés sur les chantiers, Paris 2024 est une porte d’entrée et une prison. Pour les rares qui ont un contrat, la régularisation n’est pas envisageable. La plupart n’ont pas de papiers et le travail est plus que clandestin : une aubaine pour les employeurs qui peuvent donc les payer au lance-pierre et mal les traiter.
Paris 2024, ce sont les chantiers de tous les dangers pour ces travailleurs. Pourtant, seul le village olympique, les piscines et le village des médias seront construits pour l’occasion.
Ce seront les Jeux de la sobriété, de l’inclusivité et de la durabilité, aucun doute sur cela au sein de l’organisation qui avance fièrement sur chacun de ces sujets sans remettre en question méthodes et objectifs.
Socialement, le scandale ne s’arrête pas là. Les travailleurs sont une catégorie impactée mais ils ne sont pas les seuls. La construction de nouvelles infrastructures implique la destruction d’anciennes. Et parmi elles, des habitations, des logements majoritairement sociaux détruits pour être remplacés par les infrastructures de Paris 2024. Ce sont des familles entières qui ont été délogées de la Seine-Saint-Denis, forcées de s’installer ailleurs, le temps des travaux et le temps des Jeux, avec une promesse de relogement à leur fin.
Artificialisation des sols, une exemplarité écologique pas si exemplaire
Les chantiers n’ont pas seulement délogé des familles entières mais ont provoqué une artificialisation des sols plus importante et une destruction du vivant.
Les Jardins d’Aubervilliers, c’est le nerf de leur guerre. Le collectif Sauvons les Jardins d’Auber se mobilise désormais depuis près de deux ans pour lutter contre la destruction de cette « JAD – jardins à défendre ». Les jardins sont zone de tensions et d’affrontements entre le COJO et les militants écologistes. Ces derniers accusent l’organisation de détruire la dernière parcelle de vivant qu’il reste à Aubervilliers au prix d’infrastructures superflues et inutiles : une piscine, un hammam, un sauna.
Si Paris 2024 gagne contre les jadistes (dérivé des zadistes) c’est alors une partie du vivant de la Seine -Saint-Denis qui sera détruit au profit d’une bétonisation des sols.
Et l’artificialisation des sols est un des enjeux majeurs de la lutte contre le réchauffement climatique dans les zones urbaines. En effet, une zone bétonisée provoque un réchauffement plus conséquent dans les villes et une concentration de la pollution plus grande. La biodiversité, alors source d’équilibre, ne peut plus se développer et l’air devient irrespirable.
Mais les Jardins d’Auber, s’ils sont aujourd’hui le combat le plus médiatisé (et encore) ne sont pas les seuls concernés. Depuis le début de l’année 2021, le collectif Saccage Paris 2024 travaille à faire en sorte que les Jeux n’aient pas lieux car ils seront un désastre écologique. Travaux sur les quais, destruction des parcs en Seine-Saint-Denis mais aussi scandale social : l’événement ne fait pas consensus et le collectif espère voir une annulation des Jeux pour préserver le vivant. Avant cela, leur message est clair : s’ils ne veulent pas annuler, ils iront saccager.
Enjeux financiers et de sécurité : les plus grands défis à venir ?
Redynamiser l’Île-de-France et l’ensemble du territoire français (y compris l’outre-mer) c’est là toute l’ambition de Paris 2024. Et c’est le plus pauvre département de France, celui de la Seine-Saint-Denis qui en sera bénéficiaire. Plus de 80% de l’argent public va revenir à un département aujourd’hui plus qu’affaibli.
Mais quelles conséquences pour ce département ? Si l’enrichissement se fait sur leur territoire est-il réellement au profit des citoyens ? Ne risque-t-on pas une gentrification pure et simple de la Seine-Saint-Denis au détriment de populations contraintes de quitter le territoire devenu trop cher ?
Financièrement, l’événement commence à exploser. Toujours sous la barre des 10 milliards, le budget des Jeux à augmenter de 10% dans les derniers mois, passant de 8 à 8,5 milliards. La municipalité de Paris, le COJO et le gouvernement seront-ils à la hauteur d’un événement aussi cher ? C’est la question qui inquiète les foules et qu’il faudra suivre dans les prochaines semaines.
Mais au-delà de tout, c’est la sécurité de l’événement qui inquiète. Au lendemain de la gestion catastrophique de la finale de la ligue des Champions au Stade de France, les délégations étrangères comme française s’interrogent sur la capacité de la police à sécuriser un événement aussi grand que Paris 2024.
Les enjeux sont de taille et les moyens déployés seront plus que discutables. Les services de police et de l’armée prévoient déjà d’instaurer une « reconnaissance de situations problématiques » à l’aide de caméra de surveillance, dévoilait un article récent du Monde. Cette surveillance pourrait même être un test vers une instauration de celle-ci à plus long terme après les Jeux. Paris 2024 sera-t-il un premier pas vers la sécurité massive et une forme de surveillance généralisée ?
Déjà controversé socialement, écologiquement, financièrement et sécuritairement parlant, les Jeux de Paris 2024 feront l’objet d’un boycott par les organisations militantes qui cherchent à promouvoir un événement libre de toute contrainte et neutre en carbone. Cependant, la ferveur commence à monter au sein de la population et l’année et demie à venir montrera si l’amour des Jeux est plus fort que tout.
Repenser nos événements sportifs de fond en comble
Voilà toute l’ambition première de Paris 2024 : repenser, réinventer. L’événement ne sera sûrement pas une réussite écologique et sociale et la sobriété, durabilité et l’inclusivité sont encore loins. Mais c’est certainement un premier jalon dans la refondation de notre rapport au sport et aux événements qui l’entourent qui est lancée. Construire un sport durable et engagé en faveur de l’humain semble possible mais pour cela ce sont toutes nos compétitions et événements qu’il faut réécrire. Paris 2024 n’est que le début mais les Jeux de 2028 ayant lieu à Los Angeles, on peut douter de la pérennité de ce nouveau souffle.
Image mise en avant : Cérémonie d’ouverture dee Paris 2024 - Illustration Paris 2024