Il est temps pour les femmes de prendre (vraiment) le volant

ll est temps que les femmes prennent le volant dans les métiers des transports.

En 1898, la Duchesse d’Uzès, aristocrate féministe et sportive accomplie, de son vrai nom Anne de Rochechouart de Mortemart, était la première femme à obtenir son permis de conduire. Depuis 125 ans donc, une femme a pu, légalement, prendre le volant. Et pourtant, les femmes sont toujours sous-représentées dans les métiers des transports routiers. 

En 2018, les femmes ne représentent en France que 17,8% des nouveaux titulaires du permis de conduire : le chemin est donc encore long pour déconstruire une image sexiste des femmes au volant. Le volant semble résister aux femmes, celles-ci étant les victimes des discriminations et des préjugés qui les enchaînent aux banquettes arrière et aux sièges-auto. Les femmes conductrices parcourent en moyenne 11 150 kilomètres contre 12 720 kilomètres par an pour les hommes, selon la Sécurité Routière.

Crédit : Cairn.info, Réflexions sur les usages sexués de l'automobile en France aux XIXe et XXe siècles. Femme au volant, figure de l'urbanité ? 


La menace des stéréotypes


Il n’est pas sans dire que le sexisme est un phénomène intériorisé dans tous les secteurs d’activités : le domaine des transports ne fait évidemment pas exception. Les femmes qui choisissent de devenir conductrices sont donc presque indéniablement confrontées à des difficultés dues à la discrimination et aux préjugés fondés sur leur sexe. La France n’est d’ailleurs pas le seul pays où les femmes subissent cette appréciation différenciée du volant : selon un rapport du Women's Transportation Seminar, les femmes ne représentent que 6 % des conducteur.ices de camions et seulement 3 % des pilotes professionnels aux États-Unis.


Dans une vidéo promotionnelle pour Uber, « Mariam, femme, chauffeuse et entrepreneuse », une jeune femme de 24 ans témoigne : « je me suis rendue compte que ça allait être un défi - quand je suis arrivé au premier jour de la formation et que sur vingt-quatre élèves, j’étais la seule femme. » Pourtant, rien n’empêche les femmes, physiquement et physiologiquement, de prendre la route. Les métiers de la route sont épuisants et laborieux, mais ce qui empêche véritablement les femmes de se lancer dans les métiers automobiles ne réside pas dans la voiture, le camion, ni leur taille, ni leur couleur, ni leur vitesse. 

Crédit : nymag.com

Dans une autre vidéo, intitulée Portraits de femmes VTC - Les Dames du Volant, réalisée par Yonathan Van der Voort en 2019, Judith, chauffeuse VTC depuis 4 ans et travaillant la nuit témoigne pourtant : « cela fait quatre ans que je travail et que je n’ai jamais eu de problème ! ».  La sous-représentation des femmes sur le siège conducteur est donc bien le résultat d’un processus social, d’un construit qui renvoie la femme qui conduit à des préjugés sexistes. 

Les femmes sont effectivement sous représentées dans les professions de la route : en France, le nombre de chauffeuses serait d’environ 3000. Ces femmes sont d’ailleurs réunies dans plusieurs associations, comme La Route au Féminin qui permet d’entretenir des solidarités entre femmes dans ces milieux d’hommes, et de combattre le harcèlement qu’elles peuvent subir de la part de leurs collègues masculins. En Île-de France, dans les métiers de la route, comme les VTC, (acronyme de Véhicules de Tourisme avec Chauffeurs.euses), ces dernières sont enfermées au siège passager -au sens figuré comme parfois au sens propre - siège qui, censé les protéger est en réalité  celui qui reproduit encore et toujours une domination patriarcale. Les femmes dans une voiture ont le statut de victime. Les agressions des femmes en Île de France par leur chauffeur Uber arrivent de manière quasiment hebdomadaire : Uber a admis 3045 agressions sexuelles pendant un trajet, sur l’année 2019, aux Etats-Unis, rapport dont les résultats sont sans doute sous-estimé car la plupart des victimes restent souvent silencieuses après ces faits. Si 60% des utilisateurs d’Uber sont des femmes, l’effrayante majorité des chauffeurs sont des hommes et, ce faisant, on pourrait rétorquer qu’il existe aujourd’hui un nombre important d’applications de VTC réservées aux femmes telles que « Hana », « Kolett », « Chariot for Women », où les chauffeurs sont des chauffeuses. Pour se sentir en sécurité en tant que conductrice comme en tant que passagère, les femmes doivent-elles se distancer des systèmes patriarcaux, recréer des systèmes, qui, en excluant les hommes, excluent aussi les stéréotypes qui les enferment ?

Crédit : lavoixdunord.fr


Mythologie et représentation de la femme conductrice


Dans l’imaginaire collectif de beaucoup d’hommes, les femmes sont ouvertement décrédibilisées, ce qui entrave leur propre image et leur place dans les métiers automobiles. La femme au volant, « la camionneuse », est ridiculisée, bafouée, moquée.  On peut entendre sur la route, un bidonnant « femme au volant, mort au tournant ! ». Les femmes conduiraient moins bien que les hommes, deviendraient au contact du volant, de l’accélérateur ou du frein à main subitement irascibles, hargneuses, colériques, ou encore  « hystériques ». On peut se souvenir de la facilité avec laquelle des conducteurs masculins ont insulté des femmes qui conduisent lorsque celles-ci ne démarraient pas assez vite à leur goût, faisaient un créneau, ou s’arrêtaient devant un feu orange. Pourtant, en 2018, la Sécurité routière indique que les femmes causent moins d'accidents que les hommes et que 91% des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident sont des hommes. Il semblerait donc que quels que soient leurs comportements au volant, les femmes sont visées par des préjugés sexistes, comme-ci leur « essence féminine » était un obstacle à leur conduite. 

Le sémiologue et écrivain français Roland Barthes s’intéresse lui aussi à la mythologie de l’automobile, et cherche à faire une typologie sociale des individus en fonction de leur automobile: en voulant faire le portrait de la « promotion petite bourgeoise », il met en fait en avant des caractères stéréotypés féminins : «... la voici (la DS) plus ménagère, mieux accordée à cette sublimation de l’ustensilité que l’on retrouve dans nos arts ménagers contemporains » (Mythologies). Ainsi, les femmes conduiraient, mais pas comme les hommes : c’est dans leur conduite, dans leur choix de voiture même qu’elles seraient féminines.

Crédit : Pinterest

D’ailleurs, les psychologues Cindy Chateignier, Peggy Chekroun, Armelle Nugier, Marion Dutrévis, dans un article publié dans L’année psychologique en 2011, expliquent que « La menace du stéréotype apparaît lorsque des individus prennent conscience du risque qu’ils ont d’être jugés sur la base de stéréotypes négatifs visant leur groupe d’appartenance (Steele, 1997). Plus spécifiquement, l’inquiétude de confirmer ces stéréotypes négatifs aux yeux des autres et à leurs propres yeux aurait un impact délétère sur la performance de ces individus ». Ainsi, lorsque les stéréotypes cités ci-dessus agissent sur les femmes, celles-ci ont plus de chance de répondre à ces stéréotypes, et ainsi de les faire perpétuer.

Dans l'ensemble, le faible nombre de femmes conductrices est un problème complexe qui est probablement influencé par une variété de facteurs, notamment la discrimination et les stéréotypes sociétaux. La résolution de ces problèmes nécessite une représentation plus accrue des femmes dans les secteurs automobiles, mais aussi une déconstruction des mythes liés à leur attitudes en tant que conductrices. La voiture s’inscrit encore dans le quotidien des luttes féministes. 

Crédits >  R. Barthes, Mythologies dans : Œuvres complètes, t. 1, Paris, Seuil, 1993, p. 656.

CHATEIGNIER Cindy, CHEKROUN Peggy, NUGIER Armelle et al., « « Femme au volant… » : effet de la menace du stéréotype et de la colère sur les performances des femmes à une tâche liée à la conduite automobile », L’Année psychologique, 2011/4 (Vol. 111), p. 673-700. DOI : 10.3917/anpsy.114.0673. URL : https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2011-4-page-673.html


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