La politisation croissante des faits divers par l'extrême droite : l'exemple de "l'affaire Lola"
La France a été ébranlée par l'assassinat de Lola, adolescente de 12 ans, dans le XIXè arrondissement de Paris le 15 octobre 2022. L'affaire est d'autant plus effroyable que la jeune fille a été enlevée, violée, tuée et retrouvée morte dans une malle. Ce fait divers particulièrement difficile a rapidement été politisé, notamment par l'extrême droite, qui soulève la question de l'effectivité des peines d'Obligation de quitter le territoire français.
Le lien entre Lola et l'immigration
Les quatre suspects, dont la principale suspecte Dahia B., sont Algériens. Cette dernière vit en France depuis 2016, arrivée à l'aide d'un visa étudiant. Or, depuis le mois d'août dernier, elle est soumise à une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et réside donc en France de façon irrégulière.
Le lien entre "l'affaire Lola" et la nécessité de renforcer la sécurité ainsi que de restreindre l'immigration en France a rapidement été effectué dans la sphère politique d'extrême droite : le meurtre n'aurait pas eu lieu si cette Algérienne avait vraiment été renvoyée dans son pays d'origine. Le gouvernement est critiqué pour son inaction et son détournement de l'affaire. Un manifestant que nous avons interviewé lors de la manifestation "Pour Lola" s'indigne des tweets du Président de la République le jour du meurtre dans lesquels il a "félicité Karim Benzema pour son ballon d'or" et évoqué "les dizaines de morts et les centaines de blessés dans les manifestations en Algérie", au lieu d'aborder la mort effroyable d'une jeune française.
La manifestation "Pour Lola", une politisation non assumée
Le 20 octobre 2022 s'est tenue à Denfert-Rochereau une manifestation organisée par l'Institut Pour la Justice, un think tank proche des idées politiques du parti Reconquête!. Eric Zemmour a annoncé sa présence, le Rassemblement National a changé d'avis la veille au soir en préférant une minute de silence à l'Assemblée Nationale à une manifestation.
Certains manifestants ont respecté le vœu de la famille, que le meurtre ne fasse pas l'objet d'une récupération politique. Une jeune fille interviewée n'est "pas venue pour des raisons politiques" mais pour témoigner de son soutien à la famille de Lola. Cependant, de nombreux discours critiques sur la sécurité, l'effectivité des peines et l'immigration ont été portés lors de cette manifestation.
La présidente de l'Institut Pour la Justice, énonçant que Lola a été "victime non seulement de l'insécurité et de l'Etat mais aussi de la barbarie", a précisé qu'elle ne souhaitait aucune forme de récupération politique pendant cette manifestation. Ont tout de même été projetés une dizaine de témoignages des proches de victimes de faits divers plus horribles les uns des autres, tels que l'affaire du chauffeur de bus de Bayonne, du jeune Martin ayant défendu un couple qui s'embrassait ou d'Enzo tué dans un accident de voiture. Ce déroulé de faits divers contribue au développement d'un sentiment d'insécurité, part importante des politiques d'extrême droite.
Les photos de Lola avec l'inscription "Lola aurait pu être notre petite soeur" se sont mêlées aux slogans "Le laxisme tue", "Élus, vous rendrez des comptes" ou encore "Migrants assassins" clamé par des manifestants cagoulés.
Eric Zemmour s'est justifié face aux critiques de récupération politique de l'affaire Lola en se comparant à un "lanceur d'alerte" parce que "la mort de Lola n'est pas arrivée par hasard et peut toucher demain chacun d'entre nous", dans une lettre ouverte intitulée "Le chantage à la récupération, c'est la loi de l'omerta".
Le mécanisme de politisation des faits divers
La récupération politique des faits divers ne date pas d'hier. Ce procédé est utilisé majoritairement par la droite et l'extrême droite, il permet de mettre sous le feu des projecteurs des affaires qui touchent profondément l'opinion publique. La politisation de ces crimes entraîne leur médiatisation et contribue à l’augmentation du sentiment d'insécurité dans la population. Or, la peur de se retrouver en danger d'agression encourage logiquement les individus à voter pour un parti qui fonde sa campagne sur la sécurité. L'arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002, qui était complètement inattendue, était précédée de l'affaire du "Papy Voise" (un homme âgé dont la maison avait été incendiée par des jeunes). On peut supposer qu'elle a participé au sentiment d'insécurité, donc à la hausse des votes pour l'extrême droite. Il est important de noter que la hausse du sentiment d'insécurité n'est pas nécessairement corrélée à la hausse de l'insécurité réelle, mais simplement à la plus forte médiatisation des faits divers.