Présidentielles: les influenceurs fascistes qui font campagne sur TikTok

En juin 2021, Ugo Jil Jimenez, plus connu sous le nom de « Papacito », youtubeur  d’extrême droite qui compte plus de 170 000 abonnés sur sa chaîne YouTube,  avait fait le buzz et suscité un profond sentiment d’inquiétude et de colère en  mettant en scène de façon fictive l’exécution d’un électeur de Jean-Luc  Mélenchon (LFI). Ce buzz avait été très médiatisé à l’époque, dans un contexte où  des rumeurs commençaient sérieusement à courir autour de la candidature d’un  certain E. Zemmour, alors éditorialiste sur Cnews. Fin juin 2021, trois semaines  après ce scandale, de mystérieux colleurs placardent des affiches « Zemmour  président » dans plusieurs villes du pays, notamment par dessus les affiches de  campagnes liées aux élections municipales partielles qui avaient été reportées aux  20 et 27 juin.

Voilà pour la petite remise en contexte.  


Sauf que depuis, ces affiches que l’on croyait lunaires, sont devenues réalité,  avec la candidature de Zemmour à la présidence de la République. Avec cette  candidature, on a vu une vague d’influenceurs et d’influenceuses, qui, portées par  celle-ci et inversement, véhiculent et font la promotion de ce discours ultra réactionnaire, identitaire, xénophobe, homophobe, islamophobe, de façon tout à  fait détendue, et en utilisant les codes et standards des réseaux sociaux. Nous  parlerons dans cet article essentiellement de ces tiktokeurs qui font campagne sur  ce réseau social très prisé des plus jeunes*, et qui sort un peu des standards de la  communication politique que l’on retrouve sur Twitter ou Instagram par exemple,  un outil particulièrement insidieux…  

Quelques articles en ont parlé, et une vidéo où le journaliste B. Courret explique et  résume bien le phénomène a été publiée le 13 décembre 2021 sur la chaîne de  BFMTV.  

*40 % de visiteurs quotidiens ont entre 15 et 24 ans en octobre 2020 / HypeAuditor 


Une participation active à la banalisation des idées d’extrême  droite  

Les réseaux sociaux étant devenus un outil primordial de communication politique,  et ce quelque soit le bord politique évidemment, il était donc inévitable pour la  fachosphère de saisir cette opportunité d’afficher leurs idées haut et fort car  représentées par ce candidat, même si personne ne les en empêchaient auparavant, le climat leur est favorable. L’objet de cet article est de s’intéresser à la  « prolifération » de ces influenceurs qui affluent en pleine période de campagne, dans un mouvement de  banalisation de ces idées dans leurs vidéos haineuses qui peuvent se retrouver  dans les « Pour toi » de n’importe qui, et dont l’objectif affiché est de séduire ou conquérir une certaine audience.

Des tiktokeurs militants (ou militants tiktokeurs) au service d’un  candidat  

Depuis la candidature de Zemmour, des centaines de comptes  TikTok ont fleuri et repartagent des émissions ou le candidat intervient, mais aussi et  surtout des dizaines d’influenceurs et influenceuses qui se proclament de la  « Génération Z », nom du mouvement des jeunes fascistes qui le soutiennent. Leur  contenu est donc adapté au format TikTok et à son audience, et se concentre  autour d’idées d’extrême droite incitant à la haine et appelant à la guerre civile,  tout en surfant sur les tendances du réseau social. Beaucoup assument dans leur  contenu vouloir rallier et « recruter » sur TikTok, en essayant de rendre l’image de celui qu’ils aiment appeler « le Z » plus cool.

Ces tiktokeurs ne sont autre que des  militants fascistes qui revêtent le costume d’influenceurs, ou inversement, pour répandre leurs idées au sein du réseau, et gagner en visibilité. Mais ce qu’il est  important de souligner – et c’est tout l’objet de l’article –c’est le fait que ces  influenceurs collent parfaitement aux codes et standards de TikTok en surfant  tranquillement sur les tendances, et en leur ressemblant : âge, style  vestimentaire, expressions, à un détail près : ils affichent des idées ultra  réactionnaires, insultantes, menaçantes qui collent étrangement aux programme  « du Z » qui est en pleine campagne.

« J’essaie d’être polyvalente, de mélanger un côté mode, un côté joyeux pour que  ça amène des jeunes à venir sur mon idéologie », déclare Esthelle Redpill  « influenceuse identitaire » de 25 ans dont le compte TikTok comptait plus de 120K  abonnés avant qu’elle ne soit bannie de la plateforme (BFMTV).  

« J’essaie d’être polyvalente, de mélanger un côté mode, un côté joyeux pour que  ça amène des jeunes à venir sur mon idéologie », déclare Esthelle Redpill  « influenceuse identitaire » de 25 ans dont le compte TikTok comptait plus de 120K  abonnés avant qu’elle soit banni de la plateforme (BFMTV).  

Voilà pourquoi il est important de s’intéresser au rôle de ces influenceurs, qui font  partie d’une dynamique de campagne, et qui militent sur un terrain ou la politique  est arrivée assez récemment.  

À l’image des marques, les partis politiques et leurs candidats font usage des  réseaux sociaux et organisent des partenariats avec des influenceurs, qui viennent  parfois tâtonner la figure du « leader d’opinion ». Cette numérisation de la politique française, ou plutôt l’utilisation d’Internet  comme un outil de communication politique, a d’ailleurs été exploitée en premier  lieu par l’extrême droite. Jean Marie Le Pen, affirmait au début des années 2010, vouloir utiliser internet pour s’adresser au peuple en contournant les « médias  traditionnels »*.  

*Article La Politique à l’heure des réseaux sociaux de J. Boyadjian et A. Theviot in Nouvelle  sociologie politique de la France (2021) p165-175 


Des comptes très récents pour la plupart  

Quand on regarde de plus près, beaucoup de ces comptes ont été créés, ou alors  ont commencé à publier du contenu politique en faveur du candidat ou véhiculant  des idées à partir de l’automne 2021, moment ou les rumeurs se sont transformés  en quasi-certitude autour d’une candidature, et où Zemmour a fini par se déclarer  officiellement candidat. Mais on constate aussi que plusieurs influenceurs-euses  publiaient déjà ce genre de contenu citant très souvent celui qui était encore  « éditorialiste » dès le début de l’année dernière, comme pour préparer le terrain.  

Il est aussi important de rappeler que ces influenceurs ne sont pas les seuls à  publier du contenu politisé et à faire campagne sur TikTok alors que celle-ci  s’intensifie, mais il est indispensable de les séparer d’autres influenceurs qui  parlent de leurs opinions politiques sur le réseau, et ce pour deux raisons  principales.  

La première est déjà que le contenu publié par ces influenceur-euses est  dangereux, haineux, et qu’il est techniquement souvent illégal : c’est d’ailleurs  pourquoi plusieurs d’entre eux ont vu leurs comptes se faire supprimer (Estelle  Redpill, Thoniafr_off…). Ces militants n’ont donc rien à voir et ne doivent en rien  être comparés à d’autres militants, tous bords politiques confondus, car tout  simplement dangereux, menaçants, haineux… 

Ensuite, la deuxième raison est liée au phénomène de banalisation de leur  discours, qui a été légitimé et est porté activement par la candidature d’E.  Zemmour. Ces influenceurs caméléons participent d’une banalisation de ces idées  « anti bien-pensance » face à laquelle on ne peut pas continuer de scroller.


Une candidature pour se sentir (plus) à l’aise  

De nombreux articles avaient parlé de ce phénomène au moment du scandale Papacito – dont j’ai parlé précédemment – mais il est important de suivre l’évolution de ce  phénomène, car la situation a bien évolué depuis, et évoluera encore au fur et à  mesure que les élections approchent, et même après. C’est pourquoi il est  intéressant de suivre le phénomène de près, et le déroulement de cette campagne  sur les réseaux sociaux, notamment TikTok.  

Cependant il faut aussi nuancer et relativiser en précisant que « les influenceurs  avec Zemmour », même si certains ont plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, ne  représentent pas non plus une énorme communauté même si elle est déjà trop  importante. Pour en finir, même si ces influenceurs ne représentent pas non plus  une énorme communauté elle est déjà bien trop grande, car cette banalisation sur  TikTok, qui s’inscrit dans un contexte « fascisant » plus large, auquel la  candidature du grand défenseur du « Grand remplacement » d’inspiration nazie, a  donné un bon coup de pouce.


Il est donc primordial de parler de ce mouvement  d’influenceurs, de ne pas les considérer comme n’importe quel militants qui  portent des idées, mais comme des personnes qui attisent toutes formes de haine (car la liste est longue), qui appellent à voter pour un candidat qui est  très dangereux dont les idées tuent et tueront, en ciblant un public pas forcément  politisé et en utilisant ce réseau comme outil de prosélytisme politique.




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